Aura-t-on droit à l’intégralité des Symphonies de Mahler durant le mandat de Daniel Harding à l’Orchestre de Paris ? Rien n’est plus sûr ; moins d’un an après son investiture, voilà déjà presque la moitié du corpus parcouru. Symphonie après symphonie, le style et les intentions du chef se précise.... Il est temps de faire le point.
Sculpter les sons : formulation équivoque ou surdéterminée, mais de toute façon banale. C’est pourtant le mérite de Daniel Harding d’avoir essayé de transformer cette formule cliché en principal enjeu de ses interprétations. Pour lui, cet art sculptural se précise à plusieurs niveaux différents. Tout d'abord, pour pouvoir être modelé à volonté, le son ne peut pas être trop singularisé, pas trop particularisé ; il doit garder un côté vierge, universel. C'est pourquoi, Daniel Harding semble avoir demandé à son orchestre (et plus particulièrement à la petite harmonie) un ton volontairement neutralisé, impersonnel, plus propice à accueillir une conception systémique de l'œuvre. Dans l'idée, tout particularisme stylistique et sonore (comme l'identité sonore des orchestres) est appelé à disparaître. Quel dommage, quand on pense aux hautbois, clarinettes, flûtes et autres instruments solistes dont le rôle dans les symphonies de Mahler est justement de « peupler » cette musique par leur expressivité naturelle, par la friction chambriste des personnalités (pensez-donc au troisième mouvement de la 3ème Symphonie !). Il n'est alors guère surprenant que les quelques passages qui pouvaient être généreux et chantants tendent vers l'hiératisme (exemple parmi d'autres : les grandes nappes de corde dans le 1er mouvement). A mon avis, on paie fort cher au niveau de l'expressivité individuelle le fait que, le niveau moyen des orchestres le permettant désormais, le délicieux fourmillement du collectif (encore perceptible dernièrement dans la Mahler 6 de Rattle/LSO, la Mahler 5 de Jansons/BRSO) tend à disparaître au profit d’une vision unifiée, écrétée et autoritaire du chef. A aucun moment sa lecture ne renvoyait l'écho de la centaine de musiciens présents sur scène.
Aussi, est-ce le caractère fugué qui est mis en avant dans le premier mouvement. En d'autres mots, l’intention la plus nette qu’on trouvera chez Harding est une intention « neutre » : la rigueur et l’exactitude. Il ne s'agit plus d'apporter au matériau musical sa part de subjectivité, mais de procéder à une sorte « d'exaspération » de l'objectivité.