Les artistes de RootlessRoot se définissent comme « des praticiens du mouvement intéressés avant tout par l’émotion humaine et l’expression culturelle ». Pour leur première venue à Paris, Linda Kapetanea et Jozef Fruček proposent au public de La Villette Europium, une courte pièce d’une heure et quart dont le propos est fondé sur la culture européenne.
Europium est un spectacle très théâtral : dès l’ouverture, un des artistes déclare au public « je parle, tu écoutes… c’est le théâtre », faisant tomber d’emblée le quatrième mur. Le public adhère immédiatement au lien créé par l’acteur et scande même avec lui le slogan proposé : « L’art, l’art, l’art, l’art ! » Cette introduction place bien ici la suprématie de l’art et s’interroge sur l’existence des problèmes du monde et sur la multiplication des dictateurs. « Pourquoi y a-t-il autant de petits Hitler dans le monde ? » demande l’acteur. Joué sur un ton satirique, son monologue capte immédiatement l’attention du public pour la suite du spectacle.
Au cours de la pièce, la chorégraphie et la mise en scène s’inspirent des problématiques européennes, à travers notamment l’image du Radeau de La Méduse qui évoque les naufrages des migrants. La recherche du mouvement exprime tantôt l’errance, tantôt la violence des contacts humains, tantôt la tendresse ou l’espoir. Les cinq danseurs évoluent sur un plateau sans cesse en chantier : ils portent d’immenses colonnes de bois évoquant des arbres ou des piliers qu’ils placent et déplacent sur scène. Une des danseuses s’y suspend avant de retomber et de se mettre à dessiner sur plusieurs d’entre eux. Ces colonnes en bois peuvent justement symboliser les racines de l’Europe, parfois mouvantes, parfois stables. À d’autres moments, lorsque les colonnes se multiplient à la verticale, on pourrait y voir des barres d’immeubles détruisant la nature. Exploité de différentes manières avec intelligence tout au long de la pièce, cet outil scénographique très riche deviendra à l’issue du spectacle le Radeau de La Méduse.
Le vocabulaire chorégraphique de RootlessRoot est tout à fait singulier et intéressant par sa variété d’énergies : les mouvements sont parfois fragmentés et très minimalistes puis déployés dans l’espace avec plus de fluidité. Le moment le plus abouti est sans aucun doute le trio où une danseuse ne touche jamais le sol. Elle s’appuie sur les pieds ou les mains de ses deux partenaires masculins, se laisse porter, semblant voler ou tournoyer. Ce passage est impressionnant techniquement et la confiance entre les trois artistes est admirable, les enchaînements étant parfaitement fluides. D’autres passages du spectacle proposent des duos qui s’avèrent des corps à corps très physiques d’où l’on sent se déployer une énergie vitale. Ils sont cependant un peu trop longs et l'on n'en comprend pas toujours l’aboutissement. Ils évoquent parfois plus une séance de travail qu’une proposition artistique claire. C’est le défaut de ce spectacle qui quitte parfois son sujet d’origine autour de l’Europe pour donner à voir des passages de danse abstraite dont on ne comprend pas vraiment le but. À moins que RootlessRoot ne souhaite justement évoquer par une forme chorégraphique en construction la suprématie de l’art qui dépasse les problèmes concrets du monde actuel ? Par ailleurs, la création musicale de Vassilis Mantzoukis ne met pas en valeur le spectacle, la musique électronique proposée étant assez répétitive et bruyante.