En tournée à Paris, le Tanztheater Wuppertal nous invite à redécouvrir deux œuvres de Pina Bausch, Nelken (1982), chef d’œuvre incontournable, et Für die Kinder von gestern, heute und morgen, créé vingt ans plus tard. Emblème du théâtre dansé de Pina Bausch, ce second ballet réveille avec malice ce qui reste d’enfant en chacun… Un spectacle désarmant, mêlant l’humour mordant de la chorégraphe à une réflexion existentielle.
Traduite et jouée dans plusieurs langues, « Pour les enfants d’hier, d’aujourd’hui et de demain » est un voyage dans l’enfance. A l’ouverture du rideau, un homme assis sur une table se laisse tomber brusquement de côté, rattrapé au dernier moment par son voisin. Pris au jeu, les deux compagnons répètent ce manège en série. Cette surprenante entrée en matière a une signification immédiate : des adultes retombent dans le passé et dans le plaisir du divertissement. Ce retour aux origines, qui vient excaver ce qui est le plus profondément ancré en chacun, apporte lumière et ombre sur les tropismes humains et la relation aux autres.
Dans le décor fermé de Peter Pabst, évoquant la maison, les danseurs s’égaillent et se livrent à une série de jeux loufoques. Les tableaux s’enchaînent rapidement, construction d’un château de sable, traversée de scène en skate, jeux de mains, avec le feu, avec un arrosoir, … Dans cette grande cour de récréation, tous les coups sont permis et ne sont pas exempts d’un soupçon de méchanceté.
Ce réveil de l’enfance est prétexte à raconter la rencontre de l’individu avec l’altérité : brusques accès de joie, sournoiseries, incartades, petites cruautés à la marge, mais par-dessus tout, une inébranlable nécessité d’amour qui ne trouve pas toujours de réponse. « Est-ce que tu m’aimes ? » demande avec insistance Lutz Förster à Nazareth Panadero, qui lui répond par une moue angoissée. Quelques instants plus tôt, deux danseuses dessinaient sur une vitre deux cœurs piqués d’une flèche, l’une en montrant le symbole, l’autre esquissant un croquis austère de l’organe cardiaque. Nazareth Panadero et Lutz Förster s’amusent encore à énumérer les mots de rupture, s’esclaffant hilares « il y en a tellement ! ». Cet appétit émotionnel précipite les corps les uns vers les autres, à la rencontre de l’inconnu, dans un fracas tumultueux et décontenançant.