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Saisissant diptyque carcéral à La Monnaie

By , 18 January 2018

On sait qu’à La Monnaie on n’a pas peur de prendre des risques, ni l’habitude d’ignorer que l’art pose souvent les bonnes questions. S’il en fallait une nouvelle preuve, l’affiche regroupant dans un diptyque inattendu deux opéras en un acte, Il Prigioniero de Luigi Dallapiccola et Das Gehege (L’Enclos) de Rihm, nous l’a largement fournie.

L’opéra de Dallapiccola, créé en 1950, est de ces œuvres dont on parle plus qu’on ne les entend, et c’est bien dommage. Cette éprouvante attente de la mort par un prisonnier soumis à la fois aux tortures de l’Inquisition et au faux espoir qu’a fait naître en lui un gardien de prison qui l’a appelé « frère » et se révélera être le Grand Inquisiteur qui le conduira au bûcher, est à la fois d’une saisissante puissance dramatique et d’un remarquable raffinement musical. Servie par une brillante distribution – à commencer par le Prisonnier du baryton Georg Nigl qui fait magnifiquement siens aussi bien les espoirs que la douleur du personnage, et par son pôle opposé le geôlier/Grand Inquisiteur rendu avec une douceur ambigüe par le ténor John Graham-Hall – l’œuvre montre comment Dallapiccola parvient à combiner un dodécaphonisme à visage humain qui doit plus à Berg qu’à Schönberg et cet inégalable sens mélodique italien qui en fait un héritier naturel de Monteverdi. La sobre mise en scène d’Andrea Breth situe l’action dans un intimidant décor minéral de Martin Zehetgruber où le Prisonnier nous est montré dans la cage – parfois parmi d’autres – qui abrite sa douloureuse solitude.

Das Gehege aura été plus qu’une révélation, un éblouissement. Là où Dallapiccola posait la question de la liberté politique et de conscience, Wolfgang Rihm, dans ce monologue pour soprano et orchestre – sur un texte tiré de la pièce Schlusschor de Botho Strauss – entendu pour la première fois à Munich en 2006, pose une question d’une étonnante actualité en ces temps de #metoo et #balancetonporc, celle du déséquilibre du désir, non pas entre un homme forcément prédateur et une femme forcément innocente, mais incarné ici par une femme dont la sensualité exacerbée et morbide l’amène à se lancer dans une tentative aussi absurde que vaine de séduction d’un aigle dans un zoo. A nouveau, c’est une cage – ici la volière d’un zoo – qui sert de décor. L’aigle est représenté par jusqu’à 4 ou 5 hommes masqués, tous vêtus de costumes gris (toute la distribution masculine du Prigioniero est mise à contribution), alors que le rôle de la Femme est incarné de façon saisissante par Angeles Blancas Gulín, qui après déjà avoir remarquablement incarné la mère du Prisonnier, fait entendre un timbre de soprano très pur, clair et tranchant, qui amène aisément à se l’imaginer en Salomé, voire en Sieglinde. (Et on ne parle même pas de son étonnante aptitude à chanter dans d’inhabituelles positions, accrochée à une grille, couchée ou la tête en bas.) Le lyrisme de Rihm sert à merveille ce sujet sulfureux et ambigu (on imagine d’ici les protestations de la SPA quand on sait que la Femme finit par tuer l’indifférent volatile), en puisant avec délices – et en sachant toujours éviter les pièges du pastiche – dans des références qui vont du Pierrot lunaire de Schoenberg à Strauss (la ressemblance avec Salomé est bien sûr voulue) en passant par Beethoven et Wagner. Mise en scène irréprochable d’Andrea Breth, et très beaux éclairages d’Alexander Koppelmann, même si ce dernier abuse parfois du stroboscope.

Quant au chef Franck Ollu et à l’Orchestre de La Monnaie, leur prestation mérite les plus vifs éloges.

****1
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“Das Gehege aura été plus qu’une révélation, un éblouissement.”
Reviewed at La Monnaie | De Munt: Grand Hall, Brussels on 16 January 2018
Dallapiccola, Il prigioniero
Rihm, Das Gehege
Franck Ollu, Conductor
Andrea Breth, Director
Martin Zehetgruber, Set Designer
Jacques Reynaud, Costume Designer
Ángeles Blancas Gulín, La madre (The Mother)
John Graham-Hall, Il carceriere (The Gaoler)/ Il grande Inquisitore (The Grand Inquisitor)
Georg Nigl, Il prigioniero (The Prisoner)
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