Des concerts comme celui de vendredi sont rares, trop rares et trop précieux. D'abord parce qu'un programme de cette envergure – sept pièces – et de cette originalité est toujours à chérir : se croisent pendant une heure et demie des œuvres d'ensemble, partiellement électroniques, solistes, pour tous les goûts et toutes les curiosités. Mais également car le public se trouve plongé dans une mise en espace tout à fait extraordinaire, dont la dramaturgie nécessaire a été laissée aux soins d'Alexander Fahima. Nandor Angstenberger a créé dans la salle une grande toile d'araignée de laine orange, semblant tomber du plafond et s'emparer de quelques sièges au sol, devenus inaccessibles. Des objets sont exposés ici et là, comme une feuille morte sous un rayon de lumière. Alors les gens marchent, libres de se mettre au plus près de la scène, de se balader, de changer de point d'écoute ou de vue même pendant les morceaux. Matthias Pintscher, à la direction de son Ensemble intercontemporain, encourage cette attitude : « Profitez de ce jardin musical. »
C'est une ambition et un projet gigantesque, et rien n'est à jeter. Le « Anahit » de Scelsi est comme un leurre, confortant le public dans ce qu'il connaît d'un compositeur incontournable, dans une œuvre instrumentale fidèle au style de son artiste. Des lumières, créées par Katrin Wittig, viennent souligner le texte obsessionnel et paranoïaque, balayant le public lentement comme pour chercher un criminel dans la foule. Puis tout s'éteint. Pas de temps pour les applaudissements avant qu'Alain Billard n'apparaisse sur l'estrade derrière l'orchestre, éclairé dans le dos par des projecteurs à la manière d'une rock star. Art of Metal II de Yann Robin est une œuvre hallucinante, électrifiante dans son énergie et sa folie. Billard joue un instrument unique, une clarinette basse en métal, spatialisée et modifiée en live pour que ses claquements, ses barrissements et son souffle de bête furieuse balaie la salle et le public avec.
Même dans les enchaînements, tout est contrôlé : s'ensuit une œuvre d'une douceur infinie et déconcertante après l'agression tout juste subie. Le Guero d'Helmut Lachenmann, pour piano solo installé en plein centre de la pièce, est un travail d'orfèvre de la part du percussionniste Samuel Favre – les interprètes sont décidément mis à l'honneur ce soir, presque plus que les créateurs eux-mêmes. Aucune touche n'est enfoncée pendant les trois minutes du morceau : des frottements presque imperceptibles, comme des caresses du bout des ongles de l'instrumentiste à son instrument, donnent un nouveau sens au terme d'œuvre intimiste. Le public est rassemblé autour d'eux, silencieux et curieux, comme intimidé par ce rapport si privé exposé à leurs yeux. Toujours pour piano seul, cette fois-ci sous les doigts du pianiste Sébastian Vichard, Corda d'Aureliano Cattaneo souffre un peu de ce grand moment de tendresse. Plus sèche, la pièce est plus rebutante au premier abord, avant de rattraper la curiosité du public par l'originalité de son écriture et de son interprétation. L'installation électronique ajoutée à l'instrument passe en revanche plutôt inaperçue.