Pour le concert de clôture de la saison et ses adieux à l’orchestre, qu’il dirige depuis 2010, Paavo Järvi a choisi d’interpréter la 3ème Symphonie de Mahler. Dans ce texte d’une portée tellurique, qu’il taille et agence avec autant d’adresse que de respect, impossible de ne pas être subjugué par l’autorité et le tact naturels du chef estonien. Un très grand concert !
Le premier mouvement, Kräftig. Entschieden [avec force et décision] débute par une belle idée, consistant à piquer chaque note, faire rebondir chaque appui, pour leur épargner tout pompiérisme. Aux premiers grands chocs inertiels, Paavo Järvi donne fermeté et plénitude. Il ne s’écarte pas pour autant du tempo de départ, dont la relative vitesse contribue à garder intact le caractère inéluctable de cet éveil. Climat plus extatique que menaçant : il y a quelque chose dans la pureté des couleurs qui évoque Messiaen. Dans cette immense introduction, cor (le très sûr Benoît de Barsony), trompette (Bruno Tomba, à la sonorité racée) et trombone (Jonathan Reith, frappant d’exactitude) se relayent dans un discours à narrateurs multiples. La persistance du soin apporté à chaque solo et leur cohérence globale n’est pas commune ; elle témoigne d’une écoute exemplaire entre solistes, et plus généralement, entre pupitres.
La sculpture du timbre ne semble pas avoir de limites pour les cordes, qui alignent haute densité (cette gamme ascendante des violoncelles) au plus génial frisson (ces marches sur fil de rasoir, qui semblent provenir de plusieurs directions à la fois). Joie qui ne va jamais sans quelques déchirements : Paavo Järvi ménage des jaillissements éruptifs d'une extraordinaire densité et sollicite les cuivres avec une enivrante furia, gardant toujours une belle réserve de puissance pour « l’ultime reflux ». Le retour de ce bel unisson des cors est l’instance qui permet de restaurer, dans la narration musicale, la structure de l’ensemble.
Pour le Tempo di menuetto, le chef assume des changements de tempo périlleux, allant jusqu’à émietter les fins de strophe pour relancer avec plus de brillance les suivantes. Mais le détail ne compromet pas les grandes formes qui nous transportent, d’une traite, jusqu’à la dernière harmonique.
Paavo Järvi ne fait jamais pétarader la petite harmonie ; sa surimpression aux nappes orchestrales semble tracée à l’aquarelle. Dans ce Scherzo, la musique paraît s’amuser des petites strettes comme d’un jeu de cache-cache entre pupitres : tel est le signe de la maîtrise, qui paradoxalement ici, trouve sa source dans la plus haute exigence de détail. Le solo de cor de postillon (Frédéric Mellardi) retrouve ce soir une simplicité désarmante, qui rend vains les mots. Saluons ici la pertinence de certaines innovations (le chef fait dialoguer les accents, et souligne habilement le contrechant de la trompette) et l’expressivité unique des solistes bois (notamment Philippe Berrod à la clarinette, Alexandre Gattet au hautbois), toujours au service de l’ensemble.