Dans un programme entièrement dédié à Antonín Dvořák, répertoire qu’il affectionne et qui lui va pleinement, le Quatuor de Jérusalem, nous offre une prestation des grands soirs.
Le Quatuor à cordes n°12 en Fa Majeur, Op. 96, « Américain », composé en 1896, reste l’une de ses œuvres les plus emblématiques, subtil mélange entre les influences de la musique américaine et des mélodies populaires tchèques ayant ce caractère mélancolique et tendre. Les premiers pas des instrumentistes dans l’Allegro non troppo sont quelque peu hésitants, comme une corde s’effilant quelque peu, avant qu’Ori Kam n’entraîne tout le quatuor par une fronde profonde de son alto s’apparentant à une lamentation grave et plaintive : le concert est enfin lancé.
Le lento résumerait presque à lui seul l’intensité et la plénitude interprétatives livrées par l’ensemble israélien : joué à la manière d’une marche solennelle, sur le rythme d’une mélancolie résignée semblable aux danses slaves du même compositeur, le premier violon, Alexander Pavlovsky récite le thème principal en tenant son vibrato tout au long de lignes élégantes, amples et chantantes soulignées par un son d’une grande rondeur. La marche se fait plus rude, grâce au son ample, profond et grave du violoncelliste Kyril Zlotnikov qui n’est pas sans nous rappeler Daniil Shafran tant par la richesse de sa production sonore que l’élégance de son jeu. Le Molto vivace est enjoué, rieur, et le Quatuor de Jérusalem se joue avec une facilité déconcertante des phrases saccadées et attaques, en privilégiant un fondu basé sur un legato sans faille à la manière d’un véritable orchestre. Le Finale, vivace ma non troppo, prend une dimension orchestrale, comme autant de voix en symbiose, magnifiées par un art des progressions harmoniques poussé au paroxysme et permettant de bâtir une authentique tension scénique.
La première partie se clôt sur le Quintette à cordes en Mi bémol Majeur Op. 97, véritable mariage des cultures, entre folklore tchèque et airs aux couleurs amérindiennes. Dans l’Allegro vivo, guidé par la voix du violon d’Alexander Pavlovsky, les attaques sont fines, lestes et agiles, les changements rythmiques toujours aussi francs. Une atmosphère mystérieuse exhale des portamenti. Les basses sont marquées comme des danses célébrant une allégresse retrouvée.
Le Larghetto est un véritable chef-d’œuvre. Le thème principal est tour à tour repris par Alexander Pavlovsky et Kyrill Zlotnikov comme deux voix intérieures qui s’opposent mais se ressemblent, et dont les atermoiements et fluctuations sont portées par les pizzicati sonores de Sergei Bresler ; les cordes pleurent, respirent pleinement et expriment une tristesse des plus dignes dans une stylistique qui rappelle le Quatuor Primrose.