Nouvelle création de Ioannis Mandafounis présentée au Théâtre de la Ville, Join fait se réunir la Dresden Frankfurt Dance Company et des étudiants du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (en première et deuxième année de master). À moins d’en (re)connaître certains, impossible de distinguer les quarante interprètes les uns des autres : une même énergie les anime, une envie de danse irrépressible, qui amène les corps à échanger sans hésitation et génère des interactions paraissant spontanées. On assiste avec plaisir à ces moments de rencontre au plateau, souvent esthétiques, parfois virtuoses, sans pour autant ressentir de véritable émotion, cantonnés à un rôle de témoins extérieurs qu’on aurait adoré laisser de côté pour rejoindre au moins la flamboyante rave party finale.
Le clou du spectacle, c’est son extrême fin. Pendant une petite dizaine de minutes à peine, une sauvage explosion de joie se manifeste avec une ardeur presque naïve, et néanmoins très belle. Tous les danseurs se déchaînent (enfin) sur le plateau, souriants, sur un son techno dont les basses puissantes font vibrer la salle entière et dont l’effet se trouve encore amplifié par les violents flashs de lumière stroboscopiques. Comme exacerbés par la fièvre émanant de cette soudaine frénésie, les mouvements gagnent rapidement en véhémence, jusqu’à ce que certains danseurs éprouvent le besoin de dépasser le cadre du plateau pour s’élancer vers le public, se précipitant dans les escaliers centraux où la fête se poursuit. Ils ont l’air de s’éclater ! C’est agréable à regarder, quasiment à expérimenter puisqu’on se situe au milieu, dans le même environnement tumultueux… L’excitation n’a cependant pas le temps de monter. Survient une brutale « coupure de courant », tout s’éteint d’un coup et l’électricité dont l’atmosphère était chargée s’évapore aussi… puis les applaudissements retentissent.
A posteriori, on comprend que par essence ce moment magique devait forcément être bref, car il constitue la conséquence conclusive de ce qui précède. Pendant la première partie, une multitude de tensions s’étaient exprimées successivement sous forme ludique, s’accumulant au fur et à mesure, et trouvant leur résolution dans la scène de lâcher-prise collectif qui clôt le propos – à la suite de l’effondrement des toiles encadrant le plateau, d’ailleurs, comme si plus rien ne tenait.
Contrairement à ce qu’évoque le titre, ce n’est pas tant la notion de lien que celle de coupure qui prévaut déjà dans la section principale du spectacle. Une succession de scènes chorégraphiées sont présentées, séparées par des noirs de quelques secondes qui donnent une sorte de rythme à la construction globale, laquelle n’est organisée selon aucun autre fil conducteur évident – ce qui produit un schéma dramaturgique relativement monotone. Les séquences plus ou moins longues mettent en scène alternativement deux, trois, un, quatre danseurs, de temps à autre des groupes entiers, dans une logique d’affrontement, une forme de fascination-répulsion face à l’altérité ; même quand une personne unique se positionne en tant qu’interprète, elle ne se retrouve pas seule car elle fait face à la rangée de danseurs assise face à la scène.
Les corps transmettent un langage décomplexé. Ils se meuvent souvent de manière désarticulée, se laissent emporter par des dynamiques aux allures impulsives. Ils se lient dans diverses figures, portés, trios, l’énergie circule et ne retombe pas, bien que les phrasés chorégraphiques soient morcelés et confiés à des interprètes différents. Au-delà des noirs, les jeux de lumière hautement travaillés (jusqu’à des configurations aveuglantes) influent sur les impressions des spectateurs et accentuent au gré du regard certaines poses, de simples gestes, voire des mimiques. Certaines images sont très marquantes, mais on regrette que leur éclosion suive un plan brouillon, ce qui ne permet pas de tout suivre attentivement et déclenche une pointe de lassitude.
Malgré la relative linéarité du discours dans sa globalité, on s’imprègne au maximum des singularités de chaque bribe dont l’expressivité fait écho aux autres. En dépit de quelques longueurs, la proposition de Ioannis Mandafounis fonctionne : de ce plaisant magma visuel se dégage une fougue implacable, un souffle de jeunesse où discrète virtuosité rime toujours avec savante légèreté.
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