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Des Contes d'Hoffmann déconcertants à l'Opéra-Comique

By , 29 September 2025

Les Contes d'Hoffmann ont ceci de particulier que nul, même lyricomane averti, ne peut se targuer d'en avoir vu la version définitive : rappelons qu'Offenbach est mort en 1880 alors que son œuvre était inachevée, et très incomplètement orchestrée. Pour la création le 10 février 1881 à l'Opéra-Comique, Ernest Guiraud se chargea de mettre en ordre le matériel disponible et ajouta des récitatifs chantés de son cru alors que les auteurs avaient prévu une version avec dialogues parlés conformément à la tradition de l'opéra-comique.

Les Contes d'Hoffmann à l'Opéra-Comique
© Stefan Brion

Au fil des reprises, l'ouvrage ne cessera d'être remanié. La version que propose l'Opéra-Comique pour l'ouverture de sa saison 2025/26 résulte du matériel mise au point par Michael Kaye et Jean-Christophe Keck qui en reviennent aux intentions initiales du compositeur. La surprise peut venir des dialogues écrits par Peter te Nuyl qui font presque de la Muse/Nicklausse le personnage principal. On n'est pas obligé de souscrire à la fausse complicité que la narratrice tente de nouer avec le public dans une langue souvent triviale, on n’est pas non plus obligé d’adhérer aux grosses ficelles d’un discours censé démontrer l'inanité et les stéréotypes des amours du poète Hoffmann. Le plus souvent donnés devant le rideau fermé pendant les changements de décor, la narration de la Muse et les dialogues entre elle et le poète ne facilitent pas la compréhension d'un spectacle réduit à une suite de numéros dont la logique déconcerte les habitués aux versions plus traditionnelles.

Le décor unique est moche, présentant l’intérieur d’une maison de grand-mère au papier peint jauni. La mise en scène de Lotte de Beer en contourne l'exiguïté en jouant le fantastique, avec sa poupée géante devant laquelle se prosterne Hoffmann, son mobilier qui change d'échelle au fil des scènes et l'apparition récurrente du double du poète. Soulignons le maniement habile des chœurs – formidable Ensemble Aedes – dans l'acte dit de Venise (avec sa célèbre barcarolle). À la fin de l'ouvrage, les choristes sont disposés dans la salle, et le chef invitera même les spectateurs à entonner « On est grand par l'amour et plus grand par les pleurs », qui résonne comme un hommage à Rameau.

Les Contes d'Hoffmann à l'Opéra-Comique
© Stefan Brion

Musicalement, c'est dans et au-dessus de la fosse qu'on éprouve de vraies satisfactions. La première surprise (relative) vient de l'effectif plutôt réduit de l'orchestre et des prouesses de ses solistes (merveilleux violoncelle solo). À la baguette, Pierre Dumoussaud met un peu de temps à « chauffer » ses troupes de l'Orchestre philharmonique de Strasbourg. Le nécessaire liant entre scène et fosse se renforcera sûrement au fil des représentations, mais la subtilité de l'orchestre d'Offenbach telle qu'elle nous est ici restituée est déjà admirable. Tous les rôles secondaires trouvent de belles incarnations – mention spéciale pour le talent comique de Raphaël Brémard qui endosse successivement les personnages d'Andrès, Cochenille, Frantz et Pitichinaccio.

Quand elle quitte momentanément ses oripeaux de narratrice pour revêtir ceux de Nicklausse, Héloïse Mas, voix chaude et corsée, accuse quelques duretés passagères. On est, en revanche, beaucoup moins convaincu par le fait d'avoir confié à une seule interprète, Amina Edris, des rôles aussi différents, en terme d'exigences vocales, de caractérisation, qu'Olympia, Antonia et Giulietta. On frôle d'ailleurs le contresens par rapport au texte de la Muse – à moins qu'on ne veuille ainsi prouver que toute tentative amoureuse du poète Hoffmann est, par essence, vouée à l'échec, face à ces trois incarnations du Mal. Amina Edris est en peine d'individualiser chacun de ses personnages mais, en dehors d'Antonia où le timbre et la chair de sa voix s'expriment à leur aise – l'acte III est de loin le plus réussi – les coloratures d'Olympia et les roucoulades de Giulietta la mettent mal à l'aise.

Michael Spyres (Hoffmann)
© Stefan Brion

Reste le héros de la soirée, celui qu'on a si souvent applaudi ici depuis une quinzaine d'années, le ténor de plus en plus baryton Michael Spyres. C'est un Hoffmann incontestable, souvent magistral. Mais là où l'organe vocal semblait naguère sans limite, où fascinait la facilité des passages du registre grave à la voix de tête, on sent le poids des rôles successifs, peut-être trop lourds, endossés au cours de la dernière décennie. De ces quelques fragilités nouvelles, Michael Spyres tire profit pour composer un personnage plus complexe et subtil que celui que dessine la Muse. La voix craque ici et là, les aigus jadis radieux s'assombrissent, et humanisent du même coup une figure qui ne cesse de douter d'elle-même et des autres. Quelques belles images, du poète et de son reflet, enrichissent la fin de l'ouvrage.

***11
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“Michael Spyres est un Hoffmann incontestable, souvent magistral”
Reviewed at Opéra Comique, Paris on 27 September 2025
Offenbach, Les Contes d'Hoffmann (The Tales of Hoffmann)
Pierre Dumoussaud, Conductor
Lotte de Beer, Director
Christof Hetzer, Set Designer
Jorine van Beek, Costume Designer
Alex Brok, Lighting Designer
Ensemble Aedes
Peter te Nuyl, Dramaturgy
Michael Spyres, Hoffmann
Amina Edris, Olympia, Antonia, Giulietta, Stella
Héloïse Mas, Nicklausse, The Muse
Jean-Sébastien Bou, Lindorf, Coppélius, Miracle, Dapertutto
Raphaël Brémard, Andrès, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio
Nicolas Cavallier, Crespel, Luther
Matthieu Walendzik, Hermann, Peter Schlémil
Matthieu Justine, Nathanaël, Spalanzani
Marie-Ange Todorovitch, Voice of Antonia's Mother
Sylvie Brunet-Grupposo, Voice of Antonia's Mother
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