Les Contes d'Hoffmann ont ceci de particulier que nul, même lyricomane averti, ne peut se targuer d'en avoir vu la version définitive : rappelons qu'Offenbach est mort en 1880 alors que son œuvre était inachevée, et très incomplètement orchestrée. Pour la création le 10 février 1881 à l'Opéra-Comique, Ernest Guiraud se chargea de mettre en ordre le matériel disponible et ajouta des récitatifs chantés de son cru alors que les auteurs avaient prévu une version avec dialogues parlés conformément à la tradition de l'opéra-comique.
Au fil des reprises, l'ouvrage ne cessera d'être remanié. La version que propose l'Opéra-Comique pour l'ouverture de sa saison 2025/26 résulte du matériel mise au point par Michael Kaye et Jean-Christophe Keck qui en reviennent aux intentions initiales du compositeur. La surprise peut venir des dialogues écrits par Peter te Nuyl qui font presque de la Muse/Nicklausse le personnage principal. On n'est pas obligé de souscrire à la fausse complicité que la narratrice tente de nouer avec le public dans une langue souvent triviale, on n’est pas non plus obligé d’adhérer aux grosses ficelles d’un discours censé démontrer l'inanité et les stéréotypes des amours du poète Hoffmann. Le plus souvent donnés devant le rideau fermé pendant les changements de décor, la narration de la Muse et les dialogues entre elle et le poète ne facilitent pas la compréhension d'un spectacle réduit à une suite de numéros dont la logique déconcerte les habitués aux versions plus traditionnelles.
Le décor unique est moche, présentant l’intérieur d’une maison de grand-mère au papier peint jauni. La mise en scène de Lotte de Beer en contourne l'exiguïté en jouant le fantastique, avec sa poupée géante devant laquelle se prosterne Hoffmann, son mobilier qui change d'échelle au fil des scènes et l'apparition récurrente du double du poète. Soulignons le maniement habile des chœurs – formidable Ensemble Aedes – dans l'acte dit de Venise (avec sa célèbre barcarolle). À la fin de l'ouvrage, les choristes sont disposés dans la salle, et le chef invitera même les spectateurs à entonner « On est grand par l'amour et plus grand par les pleurs », qui résonne comme un hommage à Rameau.
Musicalement, c'est dans et au-dessus de la fosse qu'on éprouve de vraies satisfactions. La première surprise (relative) vient de l'effectif plutôt réduit de l'orchestre et des prouesses de ses solistes (merveilleux violoncelle solo). À la baguette, Pierre Dumoussaud met un peu de temps à « chauffer » ses troupes de l'Orchestre philharmonique de Strasbourg. Le nécessaire liant entre scène et fosse se renforcera sûrement au fil des représentations, mais la subtilité de l'orchestre d'Offenbach telle qu'elle nous est ici restituée est déjà admirable. Tous les rôles secondaires trouvent de belles incarnations – mention spéciale pour le talent comique de Raphaël Brémard qui endosse successivement les personnages d'Andrès, Cochenille, Frantz et Pitichinaccio.