En novembre 2014, Siroe, superbe opéra de Hasse, était rejoué pour la première fois depuis le 18ème siècle à l’Opéra Royal de Versailles, pour le plus grand plaisir de son public. Ce succès avait été le fruit de la collaboration de deux artistes parmi les meilleurs, Max Emanuel Cenčić, contre-ténor qu’on ne présente plus, et George Petrou, chef de l’ensemble Armonia Atenea. La tournée organisée à la suite de la sortie de l’album Rokoko de Cenčić (Diapason d’or janvier 2014) était l’occasion de les retrouver tous deux sur la scène de l’Opéra de Versailles. Le récital, entièrement constitué d’airs de Hasse, s’est sans surprise avéré être lui aussi une réussite.
Max Emanuel Cenčić n’a plus à faire ses preuves. Au fil des années, il est devenu l’un des contre-ténors les plus prisés au monde, grâce à sa voix extraordinaire, bien sûr, mais aussi grâce à un sens du théâtre et à des ambitions musicales qui ne se limitent pas aux seules œuvres établies par l’usage. Le programme "Rokoko" qu’il a conçu autour de la musique de Johann Adolf Hasse (1699-1783) lui permet de faire montre de ses qualités vocales et dramaturgiques, tout en remettant à l’honneur l’écriture délicieusement virtuose du compositeur rival de Haendel.
Pour ouvrir la soirée, c’est la symphonie (la pièce instrumentale issue d’un opéra baroque) extraite de Artemisia qui nous est proposée. Dès la levée, on retrouve comme on l’espérait l’entrain assuré de George Petrou, chef à l’énergie inépuisable, qui entraîne avec aisance Armonia Atenea à sa suite. L’acoustique de l’Opéra de Versailles semble assécher un peu le son de l’ensemble, qui manque légèrement de rondeur, de liant, mais rien de bien grave.
Max Emanuel Cenčić arrive sur scène vêtu d’un costume noir rehaussé par une veste irrésistiblement baroque, brodée de soyeuses courbes or et violet. Son premier air, "Notte amica", lui permet de prendre ses marques et de chauffer sa voix ; il n’est pas encore très à son aise, on le comprend à son souffle plutôt court, à ses graves mal assurés, et même à son regard, presque angoissé. C’est dans un moment comme celui-ci, le difficile démarrage d’un récital éprouvant, qu’on peut déterminer que Cenčić est un très grand chanteur, manifestement. À aucun moment sa voix ne flanche, son timbre ne pâlit ; la fragilité de sa présence à cet instant précis se transforme en qualité, parce qu’il sait l’utiliser au service de l’émotion du texte, d’une intensité plus émouvante à travers sa concentration accrue.