Difficile de trouver une réelle cohérence entre l’œuvre de Ligeti et celle de Brahms. Les compositeurs appartiennent certes tous deux à la culture musicale Germanique au sens large – s’articulant autour de la Confédération Germanique pour Brahms, de la Hongrie, Roumanie et Autriche pour Ligeti. Mais leurs œuvres se distancient d’une centaine d’années, et peu de personnes jusqu’à maintenant s’étaient intéressées à leur parenté. Pourtant, en choisissant plutôt des œuvres de jeunesse, le Chamber Orchestra of Europe et leur chef Sir Antonio Pappano semblent vouloir développer une nouvelle idée, et nous entrainent avec eux.
Lisa Batiashvili, élément exaltant du concert, interprète le Concerto en Ré Majeur de Brahms, seule œuvre du concert écrite par un compositeur « mûr », après ses trente ans. La pièce est remarquable, une pierre de voute du répertoire violonistique à la difficulté technique vertigineuse, connue pour ne laisser que très peu de place à des soli mélodieux. Mais les instrumentistes avec la clarté et la solidité technique de la génération de Batiashvili se comptent sur les doigts des deux mains, et elle en fait partie. Sa présence captive autant les yeux que les oreilles, et elle arrive à insérer dans une œuvre si peu tendre avec son soliste un son merveilleux, qui voltige et qui touche en plein cœur. On peut lui reprocher, et sans que cela ne gâche rien, un peu trop de poids, justement, dans cette solidité. Particulièrement dans le deuxième mouvement, sensé être plus doux, qui aurait pu bénéficier d’un rien de légèreté en plus. Il en demeure qu’elle est une des violonistes vivantes les plus douées et les plus remarquables, et qu’elle apporte énormément au concert.
Il est toujours un peu étrange d’entendre les pièces de compositeurs qui ne se sont pas encore trouvés en tant qu’artistes. Le Concert Românesc de Ligeti sonne tant comme du Bartók qu’il est parfois difficile d’y retrouver sa signature, et même quand on y arrive, l’orchestre s’attarde peu sur les éléments d’écriture qui aurait pu le faire reconnaître. C’est un choix, mais tout l’élément nostalgique et douloureux de l’œuvre –que Ligeti a dû laisser derrière en s’enfuyant de son pays natal–, n’est pas non plus rendu évident. Pappano a peu tendance à laisser ses musiciens respirer, et de manière regrettable, coupe souvent les sons dans leurs résonnances. De lentes, larges descriptions de paysages sont passées sans trop de cérémonie quand on aurait voulu s’y attarder, comme si l’orchestre s’excusait de ne pas être symphonique, de peur de ne pas pouvoir remplir l’espace sonore. On note cependant la brillance du violon solo Steven Copes, dont les soli très bien exécutés et avec un très beau son captent l’attention.