Dans la chorégraphie contemporaine, nombreuses sont les œuvres abstraites ou narratives, puisant respectivement leur force dans un univers conceptuel riche ou un imaginaire métaphorique. Plus rares sont les œuvres factuelles qui s’aventurent sur le terrain politique et social – à de très notables exceptions, telle que celle de l'anglais Lloyd Nelson (DV8). Le travail de Kyle Abraham, véritable chronique sur les conflits raciaux des banlieues noires américaines, s’inscrit dans cette démarche artistique engagée. Mais cette approche factuelle laisse pourtant la place à une recherche artistique originale et sensée, mêlant l’expressivité du break-dance à la douceur de la danse contemporaine.
Le danseur et chorégraphe Kyle Abraham, récompensé par un Bessie Award en 2010 et invité à chorégraphier pour l’Alvin Ailey American Dance Theater en 2012, est depuis quelques années une figure émergente de la chorégraphie américaine. Depuis 2006, il réunit autour de lui une petite troupe de danseurs (Abraham.In.Motion) d’une remarquable mixité, tant dans leur origine ethnique que dans leur technique de danse.
Originaire de Pittsburgh (Pennsylvanie), Kyle Abraham s’inspire bien sûr de son enfance dans les ghettos pour imaginer un spectacle en résonance avec l’actualité brûlante des quartiers populaires aux Etats-Unis, insurgés contre les dérapages policiers. Pavement prend pour toile de fond le film Boyz’n the Hood de John Singleton (1991), dont les images, la bande-son et les dialogues nourrissent la chorégraphie. Le décor sobre représente un terrain de basket et nous transporte immédiatement dans un univers périurbain. Un jeune noir interprété par Kyle Abraham entre en scène et s’amuse à dribler un ballon imaginaire et à danser. Un blanc l’interrompt, fait mine de le menotter et le couche face contre terre. Ce geste d’arrestation se répète telle une rengaine tout au long de Pavement, les visages des captifs se figeant dans des attitudes tantôt de surprise, de rage, de sarcasme, ou de résignation. En fond de scène, un panneau indique laconiquement « no loitering ».