Aux premières lueurs d'été, la saison chorégraphique du Ballet de l'Opéra de Paris s'achève comme elle a commencé : avec un de ces programmes mixtes estampillés New York City Ballet (NYCB) qui ont jalonné le mandat du directeur de la danse sortant. Le vocabulaire est néoclassique, la grammaire est américaine mais la prononciation est teintée d'un fort accent français. Et entre une création supplémentaire à l'inspiration anémiée et l'énième entrée au répertoire d'un ballet abstrait de Balanchine, la doctrine artistique de Benjamin Millepied commence à montrer ses limites.
L'efficace et inspiré In Creases de Justin Peck avait galvanisé le public de l'Opéra Garnier au printemps dernier, éveillant l'espoir d'une création plus électrisante encore pour le Ballet de l'Opéra de Paris. Hélas, l'enthousiasme est retombé comme un soufflet. Le chorégraphe en vogue du NYCB compose pour la troupe une pièce de 25 minutes, millimétrée sur le concerto pour deux piano et orchestre en ré mineur de Poulenc. Entre chien et loup rappelle par bribes la structure de Clear, Loud, Bright, Forward (Benjamin Millepied, 2015) et la scénographie graphique de Daphnis et Chloé imaginée par Daniel Buren. L'écriture chorégraphique, empruntant tout aux grands maîtres du ballet new-yorkais, peine à innover. C'est du Balanchine sans le faste qui convient et sans le contexte qui s'y prête, saupoudré d'un propos vaguement intellectuel qui oscille entre holisme et individualisme. Dans ce cadre plus abscons qu'abstrait, les petites touches de réalisme inspirées de Robbins confinent presque au surréalisme.
Les danseurs apparaissent masqués – façon conceptuelle/pop art signée John Baldessari – dans des costumes noirs ornés de couleurs vives. Quand ils découvrent leurs visages, ils commencent à s'affirmer seuls, à deux, en groupe, apparaissant ainsi dans toute leur complexité humaine et sociale. C'est comme une invitation à l'émancipation du collectif – le corps de ballet si réputé de l'Opéra de Paris - que la création de Justin Peck peut être appréhendée. Mais tout ne semble être prétexte qu'à de la jolie danse vidée de sens. Si Entre Chien et Loup est une honnête pièce, forte d'une fraîcheur mélodique, elle manque cruellement d'identité. C'est d'autant plus dommage qu'il y avait sûrement matière à créer une oeuvre sur-mesure bardée de références culturelles explicites pour la compagnie parisienne. On retient néanmoins de ce plaisant pastiche la grâce aérienne de Sae-Eun Park et de Marion Barbeau ainsi que l'éloquence corporelle des danseurs masculins dont les mouvements ont gagné en fluidité.