Deuxième grande intégrale chambriste du mois, et pas des moindres : une distribution éblouissante autour d’un programme d’une rareté avérée. Ce lundi 30 mai, un légendaire pianiste et trois des plus grands archets de notre temps se réunissaient pour interpréter les très exigeants Quatuors avec piano opus 25, 26 et 60. La probité exacte, souveraine et inentamée de ces lectures était une démonstration parfaite de la différence qu’il y a entre éloquence et emphase.
On ne laissera plus personne dire que le Théâtre des Champs-Élysées est trop vaste pour accueillir des ensembles chambristes ; d’un son dense et sans diffraction, les quatre musiciens ont habité l’espace sonore dans ses moindres recoins. Plus facilement « tarte à la crème » que les trios, les quatuors avec piano de Brahms sont des œuvres difficiles à équilibrer. Sans la dualité rassurante (piano + quatuor) du quintette, l’écriture n’a pas pour autant la symétrie du trio ; les voix se cherchent, s’allient en progression de plus en plus serrées, jusqu’à faire masse dans des unissons assez nasaux.
Même chez des artistes d’une telle rectitude de pensée, une certaine concurrence a cours dans le son : folie dépensière qui commence dès le premier unisson des cordes (mesure 27 de l’Allegro, opus 25) et se poursuit dans ces gifles carabinées (mesure 35, ou 142 de l’opus 60). Peu prompt à élever la voix, sans doute par crainte d’une sonorité dure, le pianiste se laisse un temps écranter par l’impétueuse verve de ses partenaires. C’est aussi, dans une moindre mesure, le cas de Tetzlaff dont le violon Greiner n’a pas la projection naturelle d’un Stradivarius (malgré des sonorités plus timbrées). Mais ce n’est que partie remise, le propos s’enhardit peu à peu pour se hisser au volume des partenaires. Parmi ceux-là, citons déjà Tabea Zimmermann, au son d’une rude et terrestre beauté. Musicienne hors-norme à l'insubmersible sonorité, à la prose assertive pour ne pas dire « ébouriffée » ! (en regard, Tetzlaff révèle des phrasés plus félins, plus élusifs). Avec elle, c’est tout le charme de l’alto qui se livre en vrac aux oreilles de l'auditeur. Encore de magnifiques diaprures violonistiques dans l’Intermezzo, ivre de beauté et de détresse, filant droit jusqu’aux silences. Tetzlaff joue d’une sonorité suave et flûtée, parfois délicieusement surannée, toujours inductrice d’ambiguïté. Upbeat très marqué dans l’irrésistible Rondo alla Zingarese, témoignant d’un bel élan dans l’accentuation. Dangereuse gageure pour le pianiste, ces doubles-croches de cymbalum aux airs de toccata trouvent avec Andsnes une détente naturelle, rançon d’une technique éprouvée. Les musiciens jouent le jeu de cette caricature musicale dans les tentatives avortées de coda, le miel de certains slow-motion, jusque dans la brusquerie des accents conclusifs.