L’Opéra de Paris présente en cette mi-saison une production de Carmen, dans la mise en scène de Calixto Bieito crée en 1999. Un opéra des plus complexes à programmer dans la mesure où nous avons tou-te-s en tête une multitude de lieux communs régulièrement associés au traitement visuel et esthétique de l’œuvre de Bizet. Si la mise en scène de Bieito flirte allégrement entre violence crue et insistance pesante sur le sexisme du livret de Meilhac et Halévy, ce n’est pas moins de quatre interprètes du rôle-titre qui se succéderont jusqu’au 16 Juillet prochain dans cette reprise, soit tout autant d’incarnations de cette héroïne mythique inspirée de l’œuvre éponyme de Mérimée.
Situant l’action dans l’Espagne victime du règne Franquiste, Calixto Bieito semble faire le pari de l’épure autant que celui de l’accumulation : si la scène demeure relativement pauvre en éléments de décors illustratifs, le caractère de chacun des personnages semble être poussé à son paroxysme. En ce sens, la réflexion sur l’occupation de l’espace par la seule présence des êtres était un parti pris risqué mais judicieux – chacun, tant par sa fragilité que par ses excès, occupe l’espace scénique jusqu’à provoquer la suffocation d’autrui. La forte présence des chœurs de l’Opéra de Paris tout au long des quatre actes renforce encore plus cette idée d’exubérance perpétuelle ; en effet, chaque mot prononcé et chaque action se fait devant témoin. La direction de Bertrand de Billy, attentionnée et précise, manquait cependant de cohésion avec le plateau.
Carmen prenait vie ce soir sous les traits et la voix de Clémentine Margaine – rôle qu’elle a déjà tenu au Metropolitan Opera de New-York en début d’année. Sa première apparition en scène, réglant ses comptes au téléphone depuis une cabine téléphonique, donnait un avant-goût de l’énergie qu’elle déploiera tout au long de la représentation : voix puissante, chaleureuse et offrant des graves presque cristallins. Sa performance vocale, dont on relèvera seulement quelques défauts de prononciation rendant certains airs peu compréhensibles, allie une générosité et une intensité propres à servir le personnage de la bohémienne si convoitée et ivre de liberté. À ses côtés, le Don José de Roberto Alagna, reprenant tous les codes du machisme, semblait bien peu disposé à conquérir le cœur de Carmen. Si la voix était toujours solaire et les syllabes égrenées si précisément, le ténor, souffrant ce soir-là, ne pouvait porter sa voix à pleine puissance et semblait éprouver quelque peine à suivre l’orchestre de l’Opéra de Paris qui réduisait pourtant les tempi.