Certes la Damnation de Faust, n'est pas à proprement parler un opéra. Cette légende dramatique conçue initialement par Berlioz pour le concert est plus une succession de scènes (à l'origine huit scènes du Faust de Goethe). Alvis Hermanis, coutumier des détournements de cadre (on se souvient de son "Trouvère au musée" à Salzbourg) choisit d'y plaquer un concept scientifique prétendument philosophique : l'odyssée du savoir se mue donc en une quête d'un nouveau monde, en faisant de Faust un scientifique et l'un des héros du projet Mars One, qui envisage la colonisation de la planète Mars par un panel d'humains volontaires à l'horizon 2025.
Dans ce cadre, il a fait du génial scientifique Stephen Hawking, théoricien des origines de l'univers cloué dans un fauteuil roulant par la SLA, le « nouveau Faust du XXIème siècle ». Si l'idée en soi n'est pas mauvaise, elle souffre d'une mise en œuvre inutilement démonstrative qui perd complètement de vue les éléments du mythe Faustien, et l'œuvre de Berlioz. Dès lors, Faust et Marguerite deviennent les sujets d'une expérience manigancée par Méphisto, sorte de savant fou assisté d'une horde de sbires en blouse blanche (qu'ils soient étudiants ou voisins de marguerite). Les danseurs sont donc assimilés à des animaux de laboratoire qui s'agitent vainement en cage sous le regard désincarné de Hawking. Le tout étant illustré de multiples projections de nature ou d'animaux qui, au mieux donnent un caractère vaguement bucolique (on est loin cependant de la poésie subtile de la musique) et bien souvent soulignent lourdement le texte (la chanson du rat illustrée par des rats en cage) et distraient le spectateur de l'action des chanteurs.
Fort heureusement les oreilles sont plus gâtées que les yeux, même si les forces de l'Opéra de Paris ne sont hélas pas au niveau où on les avait entendues dans Moise et Aaron. Les chœurs apparaissent notemment beaucoup plus prosaïques dans cette œuvre qui devrait être le cœur de leur répertoire. On regrette en particulier certains excès de dynamique qui nuisent à la précision et à la compréhension. Nul doute que leur précision va s'affiner au fil des représentations. Par ailleurs, même s'il tire de belles sonorités de ses musiciens (cordes et petite harmonie notamment), Philippe Jordan déçoit en ne réussissant pas à donner à l'orchestre le souffle et la passion romantique que réclame cette œuvre. La danse des sylphes est délicate et subtile, mais la marche hongroise peu héroïque et surtout la course à l'abîme, illustrant le voyage vers Mars, dépourvue de l'intensité dramatique terrifiante qui devrait saisir le spectateur plongé dans cette chute jusqu'aux enfers.