En ce mercredi soir, la Philharmonie fait une nouvelle fois la démonstration qu’on peut attirer le public avec un programme qui sort résolument des sentiers battus. Depuis quand n’a-t-on pas entendu, dans une salle parisienne, les Sea Pictures d’Elgar et la Symphonie Mathis der Maler de Hindemith ? Il faut donc applaudir l’audace de l’Orchestre de Paris et de son chef invité Esa-Pekka Salonen, audace qui sera longuement applaudie par le nombreux public de la grande salle Pierre Boulez.
Ceux qui suivent le parcours du chef finlandais, jeune sexagénaire, aujourd’hui directeur musical du San Francisco Symphony, savent que Salonen ne s’est jamais interdit aucun répertoire, s’est toujours gardé de tout dogmatisme à la fois comme chef et comme compositeur. À peu près seul de sa génération, il a toujours voué à Hindemith, le plus mal-aimé des grands compositeurs du XXe siècle, une admiration dont témoigne une éloquente discographie.
Si on connaît bien les orchestrations « hénaurmes » que Stokowski a réalisées de plusieurs chefs-d’œuvre de Bach, on découvre ce soir ce qu’Edward Elgar a fait de la Fantaisie et fugue en ut mineur BWV 537 de Bach. Si l’on s’attendait à la pompe victorienne à laquelle le nom du compositeur de Land of Hope and Glory est systématiquement attaché, on n’est pas déçu : le grand orchestre post-romantique est convoqué, avec envolées de harpes et cuivres rutilants. Mais ce diable d’Esa-Pekka Salonen ne se contente pas d'assumer cette orchestration, il confère à l’ensemble une élégance, une fluidité qui font de cette ouverture une parfaite introduction au cycle de mélodies qui va suivre et qui fait son entrée au répertoire de l’Orchestre de Paris.
Les Sea Pictures d’Elgar n’ont rien à envier aux Nuits d’été de Berlioz ou aux Lieder eines fahrenden Gesellen de Mahler qui sont, eux, très fréquents au concert. Pourquoi donc cet ostracisme continental à l’égard d’un pur chef-d’œuvre qui date de 1899 ? Grisé par le succès de ses Variations Enigma, Elgar a entrepris ce cycle de cinq mélodies sur des textes de cinq auteurs différents, dont sa propre épouse Alice. La mer n’est ici qu’un décor, un cadre sur lequel le compositeur projette états d’âme et idéaux. Pour Elgar, côté orchestre c’est plutôt « mer calme et heureux voyage » que houle et passions à la Wagner, même si de discrètes citations des Maîtres chanteurs se font entendre dans la troisième mélodie « Sabbath Morning at Sea ». Salonen se régale manifestement des transparences debussystes qu’il obtient de l’Orchestre de Paris et fait un écrin de rêve à sa soliste, Sarah Connolly qui a remplacé Nina Stemme initialement annoncée. Le passage des ans a éclairci un timbre jadis plus opulent, dans une œuvre où l’on attendrait plus d’ombre et de teintes sombres, mais la lyrique de ces cinq poèmes n’a aucun secret pour la cantatrice anglaise.