La rencontre décisive entre le chef, l'orchestre et le public se réalise avec éclat. La première attaque des Atmosphères de Ligeti est si exacte qu'elle provoque un phénomène physique : elle engage immédiatement la fascination de tout l'Auditorium de la Maison de la Radio, concentré sur la lente et rigoureuse battue d'Alan Gilbert, qui fait entendre sans peine la succession des « champs sonores », selon le terme du compositeur. Ces agrégats de notes tenues, créant une masse homogène par la superposition des timbres dans une nuance d'une fragile légèreté, font oublier les secondes au profit d'une harmonieuse durée. Les sonorités célestes d'un Orchestre Philharmonique de Radio France remarquable par l'homogénéité de ses timbres semblent émaner directement des murs de la salle. Gilbert entretient cette extraordinaire intensité jusqu'aux dernières mesures, dissuadant même les habituelles toux récalcitrantes du public de s'exprimer. Un silence appuyé succède aux ultimes notes.
C'est un public déjà conquis qui accueille Bertrand Chamayou pour le Concerto pour piano n° 3 de Béla Bartók. Ici, une tout autre ambiance : la souplesse de la direction se conjugue aisément au toucher délicat du soliste. Le souci du beau son dicte le jeu, mettant en lumière quelques harmonies et autres effets virtuoses dans l'aigu du clavier, mais s'avère parfois d'une puissance insuffisante face à l'orchestre, notamment dans le registre grave de l'instrument. D'intempestifs coups de pied et de tête semblent vouloir exprimer ce que le piano peine à faire entendre. Ce jeu trouve cependant une efficacité certaine dans le deuxième mouvement, où l'émotion du soliste rappelle au public qu'il entend la dernière œuvre, inachevée, de Bartók. Dans le dernier mouvement, le soliste révèle une énergie qu'il communique à un orchestre dont les contrebasses et les percussions sont l'artère. La puissance de son jeu se dévoile aux dernières pages, la conclusion est brillante. Cette énergie se prolonge en un bis : ce sera le deuxième numéro de la Musica Ricercata de Ligeti, que Kubrick utilisa pour Eyes Wide Shut. Cet exercice de style est particulièrement réussi, Bertrand Chamayou parvenant à extraire de riches sonorités de cette composition minimaliste.