Le soir du centenaire de Maria Callas, c'est un autre géant du XXe siècle que l'on célèbre à la Maison de la radio et de la musique : György Ligeti, natif – comme la Callas – de 1923, voyait s'achever en grande pompe les festivités en son honneur. Quoi de mieux que son opéra burlesque et brueghelien Le Grand Macabre, parfaite synthèse des différentes manières du compositeur hongrois, pour couronner une série de quatre concerts mettant en lumière l'un des esprits les plus vifs et subversifs du siècle dernier ?
Pour ce concert, François-Xavier Roth est encore et toujours à la baguette – ou plutôt au crayon. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le directeur musical des Siècles prend très professionnellement en main l'Orchestre National de France. La partition, exigeante, demande au chef une attention de tous les instants, tant les pupitres sont nombreux et variés, des klaxons qui ouvrent l'opéra aux sonneries de téléphone en passant par les musiciens placés en coulisses, le solo de violon, le saxophone, les harmonicas, la mandoline... et la liste est encore longue. Les départs sont précis, la battue dynamique fait honneur à la partition. Mais on pourrait penser que parfois, faire parler le vaste instrumentarium et la multitude de modes de jeux variés imaginés par Ligeti ne suffit pas. L'énergie est là, mais pas la caractérisation des mouvements rythmiques, comme dans la Passacaille finale qui n'en aura ce soir que le titre.
En face de lui, les musiciens du National ont effectué un remarquable travail. Dans cette partition abondante et chargée jusqu'à saturation, rien ne sonne fouillis : ce Grand Macabre-là est tiré à quatre épingles. Il en ressort une sonorité rutilante, enflammée et décadente, parfait paysage sonore du royaume de Breughellande imaginé par le compositeur et son librettiste. Avouons-le : entre les klaxons, l'entrain des cuivres, les déflagrations des chœurs (magnifiquement préparés par Sofi Jeannin et Lionel Sow), nos oreilles ont été mises à rude épreuve. Tant mieux : Le Grand Macabre n'est pas une œuvre qui est là pour s'excuser.
Le plateau vocal ne s'excuse pas non plus, et on l'en remercie : toutes et tous font montre d'une interprétation extrêmement habitée de leurs personnages. En Vénus, Sarah Aristidou est bidonnante dans ce rôle de vraie-fausse Reine de la Nuit furieuse, qui joue la surenchère des suraigus. Matthieu Justine (Piet l'ivrogne) et Robin Adams (Nekrotzar) font un formidable duo de protagonistes, grotesques sans être ridicules, grossiers sans être vulgaires. Ils ont parfaitement intégré les enjeux musicaux de leurs personnages, pastichant tantôt le Commandeur du Don Giovanni de Mozart, tantôt les vocalises parfois un tantinet rébarbatives des cadences verdiennes. Il faudrait tous les citer : Andrew Watts en délicieux Prince Go-Go, cabotinant avec délice dans ce rôle de politicien fantoche taillé pour nos sociétés contemporaines ; Lucile Richardot (Mescalina), au timbre sensuel et féroce, donnant la réplique à un Astradamors incarné par un Olivier Gourdy au timing gestuel et vocal délicieux...