Pour la seconde fois ce mois-ci, après une remarquable Symphonie n° 2 dirigée par Myung-Whun Chung, la basilique de Saint-Denis a fait résonner l'esprit mahlerien en ses murs avec la Symphonie n° 5 du compositeur autrichien, offerte par l'Orchestre National de Lille et son jeune chef, Alexandre Bloch, ensemble engagés dans une ambitieuse intégrale des symphonies de Mahler depuis le début de cette année 2019.
Toutefois, avant d'ouvrir cette page monumentale, trois Kindertotenlieder ont été choisis en guise d'introduction. On y découvre le baryton allemand Benjamin Appl dont la présence scénique, assise, déterminée, et la voix profondément ancrée contrastent avec un orchestre dont la légèreté peut surprendre dans cette œuvre toute de gravité. Cet écart parvient à trouver une sorte d'équilibre dans l'infaillible conduite vocale d'Appl, dont le timbre extrêmement condensé – qui n'exclut pas pour autant quelques traits d'une souplesse remarquable – parvient à fédérer un orchestre toujours maintenu sur le fil d'une aventureuse fuite en avant, comme partagé entre deux forces antagonistes. L'intranquille agitation qui caractérise l'exécution est bienvenue dans le dernier lied, « In diesem Wetter, in diesem Braus », où se révèlent l'énergie et l'enthousiasme de l'orchestre, porté par le non moins énergique Alexandre Bloch, dont les gestes nombreux, amples et rapides n'admettent pas le moindre répit de la part des musiciens, quitte à faire apparaître un sentiment de lassitude.
Après une très courte pause, le chef revient prestement à son pupitre. Sans plus d'attente, la trompette lance un appel solitaire. Ce timbre brillant résonne dans l'immense basilique et ouvre le premier mouvement de la Symphonie n° 5. Lui répondant en un tutti éclatant, l'orchestre confirme son enthousiasme et la richesse de sa palette de nuances. Le chef fait s'entrechoquer les blocs orchestraux par de grands gestes donnés des deux bras – quand la tête, les épaules et les jambes n'y ajoutent pas leur concours – et en exploite toutes les forces. Davantage dramaturge qu'architecte, il fait entendre la partition de Mahler dans son instantanéité, ne cessant de vouloir créer la surprise, l'inattendu, rattrapant au vol un pupitre de cordes, exhortant une rangée de cuivres, et réunissant l'ensemble en des tutti d'une force exceptionnelle. Extrêmement étiré, le deuxième mouvement (« avec une grande véhémence », note Mahler) perpétue cette vivacité et offre aux instrumentistes de l'orchestre l'occasion de moments d'expression soliste ; on notera particulièrement la délicatesse de son de la clarinette, le soin porté à l'articulation du hautbois qui, conjugués à l'archet unanime des cordes (les contrebasses, placées au fond de la scène, portent l'ensemble), créent une texture dont la richesse se manifeste notamment dans les moments d'accalmie.