En cette année 2015 qui honore les 150 ans de la naissance de Sibelius il était tentant pour Mikko Franck, chef finlandais de grand talent qui deviendra directeur musical de l'Orchestre Philharmonique de Radio France en septembre prochain, de proposer à la tête de son futur orchestre un concert entièrement dédié à Sibelius. Quatre œuvres à la fois différentes et typiques du grand compositeur finlandais étaient donc au programme de ce magnifique concert.
En ouverture de concert, Nocturne une pièce rarement donnée, permettait d’emblée de dresser les contours de l’ensemble de la soirée. Car cette œuvre composée à l’aube du 20ème siècle pour servir de musique de scène à une pièce d’un auteur suédois ami de Sibelius, Adolf Paul, contient déjà tout ce qui fera le style immédiatement reconnaissable du Sibelius de la maturité. Des bois qui s’élèvent par-dessus des cordes oscillantes avant que ne débute un long crescendo suivi d’un étonnant et rapide retour au point de départ, tel est le schéma de l’œuvre. L’Orchestre Philharmonique de Radio France sous la direction droite et précise de Mikko Franck n’a aucune peine à traduire les climats changeants et mystérieux de cette pièce.
Suivait ensuite le célèbre concerto pour violon de Sibelius, une pièce qui a maintenant régulièrement les honneurs du concert. Œuvre plus tardive, composée entre 1903 et 1905, ce concerto est très classique dans sa forme en trois mouvements Allegro, Adagio, Allegro. L’interprétation de Baiba Skride, violoniste lettone jouant un Stradivarius prêté par Gidon Kremer, ne convainc pas complètement. La violoniste ne parvient pas à capter l’auditeur dans cet extraordinaire début du concerto si important pour la suite du déroulement de l’œuvre. Le son est irrégulier, la ligne pas toujours lisible et la version proposée, plus lecture qu’interprétation, ne passionne pas. Pourtant Mikko Franck ne propose pas qu’un simple accompagnement mais un fin et subtil tissu orchestral. Le Philharmonique de Radio France concentré et précis est exemplaire, si ce n’est peut-être quelques accords des cuivres trop appuyés pour en faire ressortir la richesse harmonique. Dans l’Adagio, Baiba Skride est plus présente et semble plus à l’aise. Le final mené avec maestria par Mikko Franck permet à l’orchestre de montrer son sens du jeu collectif et à Baiba Skride de mieux exprimer son tempérament. Donc, une demi-réussite seulement.
Mais en fait, les choses sérieuses allaient commencer en deuxième partie de concert avec une magistrale interprétation d’En Saga, œuvre d’une très grande inspiration formelle comme musicale où tout le génie de Sibelius est déjà présent. Terminée en 1892, En Saga sera remaniée par Sibelius dix ans plus tard à l’occasion d’une nouvelle exécution commanditée par Busoni à Berlin. Ce poème symphonique, qui en fait s’apparente à un mouvement de symphonie, et dont le titre pourrait être traduit par « Une légende », est une étonnante musique qui séduit d’emblée. Son leitmotiv principal immergeant la musique à la façon d’une ouverture de Wagner, ses accélérations, ses frémissements de cordes, ses appels de bois et de cuivres qui évoquent Bruckner que Sibelius a beaucoup entendu à Vienne, ses discrets mais surprenants coups de cymbale, donnent à la pièce un aspect fantasque saisissant. La courte et récurrente intervention de l’alto solo véritablement envoûtant, les cordes graves, au rôle de pédale sur laquelle repose l’architecture complexe de la musique, les allers et retours des bois dans les extrêmes de leur registre, les accélérations aux cuivres, tout participe à enivrer l’auditeur. Suit enfin un court passage qui a des accents de valse triste et qui précède d’étonnants crescendi sur les accords tenus des cuivres avant que la dernière et brutale rupture, grâce à une ritournelle jouée en miroir par la clarinette et les cordes graves, donne à l’auditeur l’impression que la musique continue au-delà de sa fin… Une pièce de toute beauté magnifiquement interprétée par un Mikko Franck serein et travaillant la matière orchestrale avec une extrême précision. Mention spéciale à l’alto solo de Marc Desmons d’une grande poésie.