Un coup d’œil au programme de ce mardi montre que l’Orchestre Symphonique de Montréal n’est pas venu à la Philharmonie pour se tourner les pouces : Jeux (Debussy) et Le Sacre du printemps (Stravinsky) comptent parmi les œuvres symphoniques les plus célèbres et les plus difficiles, pour leur rôle dans l'histoire de la musique et pour la richesse de leur matériau. Entre ces deux sommets, les Wesendonck-Lieder font office de test pour la chanteuse invitée ; explicitement considérées par Wagner comme des « études » préparant l’opéra Tristan et Isolde, ces cinq pièces constituent un véritable laboratoire dans lequel la voix est mise à l’épreuve des infinies lignes mélodiques chères au compositeur.
Québécoise bien connue des lyricomanes parisiens, Marie-Nicole Lemieux relève le défi avec brio : son timbre dense s’intègre parfaitement à la masse chaleureuse des cordes montréalaises, dialogue idéalement avec les chefs de pupitres – remarquable alto solo dans « Im Treibhaus » – ou s’élance sans effort au-dessus de l’orchestre, avec une puissance admirable. Sa voix de contralto permet des graves incandescents (« Schmerzen ») et elle pousse les notes aiguës sans se désunir, même si les plus hautes montrent les limites de sa tessiture. Si la projection du texte poétique est toujours impeccable, Marie-Nicole Lemieux marque parfois excessivement ses respirations au milieu des mélopées wagnériennes, ce qui fait perdre légèrement le fil des rêves – « Traüme » – conclusifs.
Derrière la chanteuse, la solide pâte sonore tissée par les cordes de l’Orchestre Symphonique de Montréal ne surprend plus ; un peu plus tôt, elle a constitué un point fort de l’interprétation du ballet Jeux. Dans cette œuvre considérée comme une page fondatrice pour la musique du XXe siècle, Kent Nagano ne cherche ni la transparence des timbres, ni un pointillisme rythmique qui ferait ressortir les microstructures typiquement debussystes. En s’appuyant sur des archets consistants, le maestro cultive d’une battue souple un bel alliage orchestral, compact, aux couleurs changeantes, selon un mouvement relativement continu. Si l’interprétation rappelle ainsi une forme d’expressivité romantique qui faisait partie intégrante de la musique de Debussy, elle nous prive en contrepartie de bien des informations. Les instruments se marchent parfois sur les pieds, tant sur le plan de l’équilibre orchestral – certaines interventions sont inaudibles, noyées dans la masse – que sur celui du discours : Nagano enchaîne sa lecture sans prendre le temps de tourner toutes les pages, de mettre un point final à un motif ou de soigner l’attaque d’une nouvelle phrase. Dans ces conditions, il est difficile d’apprécier la riche architecture de l’ouvrage et toute la dimension ludique du ballet debussyste.