À la tête de l’Orchestre National de Lyon, dont il est pour cette saison artiste associé, Ton Koopman proposa de l’oratorio de Haydn une vision où la simplicité et la lisibilité primaient sur toute effusion dramatique. Assumant pleinement le parti-pris de laisser de côté l’aspect narratif et programmatique pour rendre à l’œuvre sa qualité de musique pure, il nous présente une vision ménageant de splendides épisodes hors du temps au prix de quelques passages à vide. Avec, en contrepoint, un texte de Jean-Pierre Mortel sussuré par un imposant Michael Lonsdale, et d’audacieuses improvisations à l’orgue de Baptiste-Florian Marle-Ouvrard.
La musique n’entame sa marche ni les pieds ailés, ni avec de gros sabots ; c’est clairement mise à nue qu’elle se présente à nous. Dans l’esprit de Ton Koopman, l’oratorio est à l’image du Christ en croix : en aucun cas dramatique, mais plein d’émotion tragique. Ainsi, les batteries de cordes impriment un mouvement assuré, mais jamais bondissant. Ce solide canevas étant posé, les musiciens de l’ONL se prennent au risque de dévoiler la beauté la plus déchirante de cette musique : l’absence quasi-totale de vibrato des cordes met parfois en péril la qualité d’intonation, mais permet de mettre en lumière l’expressivité des dissonnances qui structurent la polyphonie. C’est ce que l’on retiendra de l’introduction : car les autres pupitres se font encore discrets, et il manque en particulier le timbre cuivré des cors, qui donnent à cette musique sa gravité mystique.
Si la gravité de l’œuvre ne nous a pas encore saisi, au moins la première sonate évite-t-elle l’écueil de rendre le climat pesant : les batteries qui emportent tout le mouvement sont ici plus que de simples battements de cœur ; se faisant ici poumon de cette musique, elles parent la mélodie d’une légèreté aérienne. Du chef, on admire la gestuelle très lisible, presque didactique, clarifiant au maximum la structure harmonique (les cadences rompues sont fort habilement ménagées, et le souffle musical se suspend dans le silence, avant que les battements du cœur ne reprennent leur inexorable marche). L’engagement du chef n’enraye pas systématiquement la timidité de certaines attaques, conséquence de sa volonté de s’écarter de tout dramatisme exhaustif.
Dans la deuxième sonate, absence de dramatisme va de pair avec absence de narration : dans une forme où un même motif musical est répété trois fois, il eût fallu sans doute varier de façon plus audible les trois occurences du thème. La clarté du timbre du hautbois parvient certes à jeter un rai de lumière, et la gestuelle baroques des pupitres de violon (certains vont jusqu’à modifier leur tenue d’archet pour s’adapter au répertoire) insuffle un véritable élan à chaque note ; mais il manque à ces élégants détails la solidité d’un canevas plus global.