Du 7 au 30 juin, la scène du Palais Garnier accueille un des trois seuls opéras de Monteverdi conservés dans leur quasi-totalité : Le Couronnement de Poppée, créé en 1642 à Venise. Cet opéra en un prologue et trois actes est le tout premier à prendre pour sujet un événement historique : il montre en musique les tristes conséquences de l’amour passionnel qui se fait jour entre Poppée et Néron. L’œuvre est proposée à l’Opéra de Paris dans une version établie par le chef Rinaldo Alessandrini, assortie d’une mise en scène très poétique de Robert Wilson. Une production raffinée et élégante, néanmoins susceptible de décevoir les spécialistes de Monteverdi.
Le Couronnement de Poppée est un opéra fondé sur un épisode historique d’une « impudicité scandaleuse » marquant l’avènement de « grands malheurs », d’après le récit que fournit Tacite dans ses Annales. Le livret que produit Busenello à partir de l’histoire latine traduit les différentes manifestations de l’amoralité des personnages : aucun d’entre eux n’adopte une ligne de conduite exemplaire, ce qui est troublant puisque le spectateur ne peut pas s’identifier à un héros au sens traditionnel. Poppée est pétrie d’ambition, et convoite le pouvoir de Néron au moins autant que son amour ; Octavie tente de tuer sa rivale ; Néron ordonne la mort de Sénèque et la répudiation d’Octavie ; Othon se soumet par lâcheté à ce qu’on lui ordonne. L’absence de message moral clair semble mettre en valeur le caractère historique, véridique, vécu de l’œuvre, et insiste sur la faiblesse toute humaine des personnages, qui sont des hommes avant d’être des puissants.
La mise en scène dépouillée de Robert Wilson sacralise en quelque sorte cet épisode si sombre de la vie de Néron. En prenant le parti de faire évoluer les chanteurs dans des costumes de couleur foncée sur fond uni de lumière pastel, il concentre toute l’expressivité au niveau des visages peints en blanc des chanteurs, de leurs voix bien sûr, et de leur gestuelle très précise, emprunte de noblesse. En globalité, la sobriété de l’esthétique wilsonienne fonctionne bien, la réalisation étant soignée et réussie, à l’exception de légers décalages entre les accents musicaux et les changements de lumière. Quelques discrets symboles sont perceptibles dans l’occupation de l’espace, au travers de l’objet ou du décor attribué de façon spécifique à chacune des scènes – la lune, un chapiteau de colonne renversé, un obélisque, ou quelques arbres. La beauté froide que Robert Wilson insuffle à la représentation place l’histoire relatée sur un plan mythique : la distance établie entre les protagonistes quasi figés sur scène et les spectateurs en admiration devant leurs habits royaux (robes bouffantes assorties de collerettes en étoile, tenues taillées dans de riches étoffes) force à la contemplation mais aussi à la réflexion. La violence des passions humaines n’est pas masquée par l’apparente tranquillité de la société où on les découvre ; la cruauté, l’indifférence et l’égoïsme des personnages sont au contraire exacerbés par le calme qu’ils conservent sans discontinuer, n’ayant dans le cœur que le désir brûlant d’atteindre leurs objectifs coûte que coûte, mais sachant se composer une face de telle sorte à manipuler l’opinion d’autrui.