Prochainement à l’affiche de l’Opéra de Marseille, le baryton québécois Jean-François Lapointe s’apprête à ajouter à son répertoire le rôle de Rodrigo dans Don Carlo de Guiseppe Verdi. Nous avons retrouvé le chanteur afin de recueillir ses impressions sur ce nouveau rôle, véritable défi pour les barytons.
Vous allez effectuer une prise de rôle en interprétant Rodrigo dans Don Carlo. Avez-vous beaucoup chanté Verdi ?
Je ne peux pas dire que j’ai beaucoup chanté Verdi car il s’agit de mon troisième rôle dans ce répertoire. Le rôle que j’ai le plus chanté est Ford dans Falstaff. J’ai aussi fait Germont dans Traviata.
Pourquoi en êtes-vous « seulement » au troisième ?
Cela correspond à l’évolution de ma voix. J’étais baryton lyrique plutôt léger et agile dans l’aigu. J’ai donc fait tous les rôles qui correspondent à ce répertoire léger, ce qui ne correspond pas nécessairement au répertoire de Verdi. Je n’ai abordé les rôles de Verdi que dans la quarantaine ainsi que d’autres rôles plus dramatiques, plus « larges ». Quand j’avais vingt ans je ne pensais pas vraiment pouvoir chanter ces rôles car je ne pensais pas que ma voix évoluerait de cette manière.
Comment définiriez-vous la voix de baryton verdien ?
C’est un baryton qui doit nécessairement avoir une bonne ampleur vocale, notamment dans le centre de la voix, mais avec beaucoup d’aigus. Ce sont justement l’aigu et une certaine puissance vocale qui m’ont toujours caractérisé. Chez Verdi la ligne vocale est toujours très lyrique avec un très grand legato.
Si je devais comparer avec les instruments, je dirais que le baryton verdien retranscrit une sorte de legato de violoncelle : quelque chose de profond, ample mais aussi soyeux. Je reste très impressionné par la manière dont Verdi écrit bien pour la voix de baryton.
C’est-à-dire ?
Outre le fait que ses lignes vocales sont toujours très belles et très bien développées et amenées, il utilise bien la voix de baryton tant dans la puissance que dans l’étendue de la voix. Il va chercher jusqu’au sommet de nos aigus.
Cela peut constituer une difficulté supplémentaire...
Effectivement cela demeure une difficulté. Mais personnellement cela me parle. Les aigus ont toujours été une de mes caractéristiques vocales. J’ai un réel plaisir à chanter cette musique.
Avant de chanter un rôle pour la première fois, quelle est votre plus grande appréhension ?
Quand on fait un rôle pour la première fois, il faut l’apprivoiser, l’intégrer dans son corps et bien connaître les moments où, à l’intérieur du rôle, on doit se ménager. On ne sait pas comment appréhender cela quand il s’agit d’une prise de rôle. Évidemment, la mort de Rodrigo est une scène particulièrement intense. Il faut pouvoir se garder au niveau vocal jusqu’à cette scène. Cela reste un vrai défi car le rôle est long et très intense dès le départ.
La plus grande excitation ?
Justement je pense que c’est de faire cette fameuse mort. J’ai toujours aimé les scènes de mort à l’opéra (rires). Quand on est baryton cela arrive souvent. On est toujours celui qui est assassiné.
Parlons plus en détail du rôle, comment voyez-vous ce personnage ?
C’est un protecteur. Il est très ami, très proche de Carlo. Cette relation est extrêmement ambiguë et peut aller jusqu’à l’homosexualité. Nous ne sommes pas allés, ici, dans cette direction mais c’est une véritable amitié, une véritable affection. Affection qui date probablement de l’enfance, de très loin. Rodrigo est un protecteur amoureux. Même si ce n’est pas un amour physique, c’est plus que de l’amitié.
Rodrigo a également de véritables ambitions politiques. Il veut le bien pour le peuple qu’il aime, pour la Flandre. Il s’agit, à mon avis, d’un être bon.
Comment décririez-vous cet idéal humaniste que représentent les Flandres ?
On idéalise souvent des peuples, même aujourd’hui. On relève les problèmes dans son propre pays en croyant que ce sera mieux ailleurs. Je pense qu’il y a un peu de cela. On est ici dans le fantasme, dans l'idéalisation, et c’est tout aussi beau car cela permet de rêver.
Protecteur avec Carlo et rêveur humaniste ; reste la place qu’occupe Rodrigo auprès du Roi. Comment la décrire ?
C’est plus compliqué. Évidemment si l’on se fie à l’histoire, ils se connaissent depuis longtemps. Ici le roi est pour le moins sévère et ne règne que par la terreur. Rodrigo est le seul qui se permette de lui dire des choses. Il est évident que le roi a une réelle confiance en lui. D’ailleurs le roi sait que Rodrigo est quelqu’un de fidèle, qu’il est un bon guerrier, qu’il peut compter sur lui. Ce que j’aime chez ce personnage c’est qu’il ose dire les choses. Il ne dit pas tout mais parfois cela lui échappe du fait de sa passion pour sauver le peuple de Flandre.
Avez-vous conscience de jouer un rôle - peut-être le rôle - le plus riche et complexe de cet ouvrage ?
Tout à fait. Par exemple, quand on chante Escamillo dans Carmen on est beaucoup plus limité. Rodrigo, partagé entre son affection pour Carlo, son rapport politique avec le roi et son rôle de conseiller, est un personnage passionnant et particulièrement fort. Je pense que lorsque je reprendrai le rôle je pourrai l’approfondir encore. Il y a des personnages comme cela, sans fin. Quand je joue Pelléas ou encore Golaud, je sais que je peux toujours aller dans une autre direction. Je pense que Rodrigo a cette richesse qui est très nourrissante pour un artiste. Cela nous permet de réfléchir, d’appréhender les choses d’une façon ou d’une autre.
Pour préparer le rôle, qu’avez-vous lu ?
J’aime me plonger dans l’époque historique. J’ai donc beaucoup lu sur l’Inquisition. Quelle époque de terreur ! On pouvait perdre sa tête ou brûler au bûcher pour rien. Je pense qu’il est important de comprendre cette époque-là.