Actuellement à l’affiche de l’Opéra de Marseille dans le rôle de Filippo II de Don Carlo de Verdi, la basse Nicolas Courjal nous livre ses impressions sur ce rôle passionnant, à la fois figure historique et caractère mythique du répertoire pour basse.
Vous effectuez une prise de rôle dans cette production de Don Carlo en interprétant le roi Filippo II. Pourquoi ce rôle arrive‐t‐il à ce moment ?
Il s’agit d’un des plus grands rôles pour basse qui nécessite une grande maturité et faire cela trop jeune n’est pas intéressant. Naturellement, l’invitation de Maurice Xiberras (directeur général de l’Opéra de Marseille, N.D.L.R.) est arrivée au moment où je commençais à sentir que je pouvais me lancer dans l’aventure. Ce rôle n’est pas si long par rapport aux autres personnages de la pièce mais il est particulièrement intense. Il va de l’invective, de la colère jusqu’à la chose la plus tendre. Ce personnage demande donc une large palette et une sacrée technique pour mettre en éclairage toutes ces couleurs. Ce rôle est particulièrement intéressant également dans la psychologie du personnage.
Pouvez‐vous nous la présenter ?
Il s’agit d’un homme très dur. Il a le poids des responsabilités et de l’Empire sur ses épaules. Il est un peu écrasé par cela, mais aussi par l’Inquisition. On en vient même à se demander où est le véritable pouvoir. Il se bat pour ne pas être qu’une poupée et être le roi qu’il mérite d’être. Comme pour beaucoup de monarques, ce poids l’empêche d’être simplement un homme et de pouvoir aimer, pardonner. L’air « Ella giammai m’amo » permet justement de présenter ce visage plus humain du roi. C’est rare que Verdi écrive un air pour basse tout plein d’espoir et de tendresse.
Cet air est particulièrement attendu par le public et compte comme un pilier du répertoire pour basse. Comment le décririez‐vous ?
Musicalement cet air est probablement ce que Verdi a écrit de plus proche de la mélodie. Je le sens comme un lied, une mélodie. De plus, la basse n’est pas seule lors de cet air. Il s’agit aussi de l’air du violoncelle avec lequel la basse entretient tout un dialogue. Cet air est donc assez unique et s’apparente presque à une mélodie pour orchestre.
Au niveau du texte, il s’agit d’un moment qui permet à la basse de se livrer et de montrer ses sentiments. Pour une basse, il s’agit de quelque chose d’assez rare. Le désespoir, la faiblesse du personnage sont ici montrés. Souvent les basses n’ont pas de faiblesses. À titre d’exemple, le Roi Mark chez Wagner dans Tristan ne va pas aussi loin même s’il dit les choses. On a chez Filippo un total abandon qui est bien mis en scène dans cette production : la scène est vide, je suis simplement en chemise et sans mon costume. Cela montre que tous ces grands personnages étaient d’abord des hommes. Ils sont comme tous les autres à avoir des faiblesses et des sentiments.
Comment présenteriez‐vous le déroulement d’une soirée d’un interprète de Filippo ?
J’essaie toujours de compartimenter ma soirée car si l’on commence à se dire « j’ai tout ça à faire», on panique! Le rôle de Filippo est bien équilibré à cet égard. Le passage de l’autodafé est assez compliqué à gérer car il est véritablement grandiose et l’on est vocalement confronté à des masses. Après, heureusement, il y a l’entracte qui permet de changer totalement de registre, de façon de voir les choses et de se concentrer pour le fameux air qui arrive dès le lever de rideau, lequel s’enchaîne - très bien - avec le duo qui suit entre Filippo et le Grand Inquisiteur. Vient ensuite la scène de tension maximale entre Elisabetta et le roi. Le rôle est alors quasiment terminé, il ne reste que quelques entrées dans la prison.
Cet opéra est particulièrement noir et je trouve incroyable le nombre de clés de fa que Verdi a utilisé pour son opéra. Les deux seuls personnages qui combattent à côté de la noirceur générale de l’ouvrage sont Elisabetta et Don Carlo.
Votre plus grande appréhension concernant le rôle ?
L’endurance.
Votre plus grande excitation ?
Il y en a deux : le fameux air ainsi que le duo avec l’Inquisiteur. Lorsque j’étais plus jeune j’écoutais ce passage qui correspond au centre de l’ouvrage et j’en avais déjà des frissons.
Comment avez‐vous préparé le rôle ?
J’ai beaucoup lu notamment des biographies. Dans cette partition il y a une grande imbrication entre la Grande Histoire et celle inventée tant par Schiller que par les librettistes de Verdi. J’ai tenté de démêmer le faux du vrai de ce livret. C’était intéressant de plonger dans la véritable histoire pour connaître le personnage. Dans Don Carlo, ce qu’il y a de véritablement fort et de proche de la réalité demeure cette place de la religion. Filippo était extrêmement religieux et confronté à l’autorité de l’Église.
Ensuite, j’ai travaillé la partition. Je n’aime pas tellement écouter des enregistrements lors du travail d’un rôle. On a énormément d’enregistrements tous aussi excellents les uns que les autres. Je ne suis pas les autres chanteurs, je suis moi et je dois faire avec ma voix. Surtout, j’évite de chercher à imiter les qualités des autres.
Comment décririez‐vous la voix de basse à quelqu’un qui ne connaît pas du tout le monde lyrique ?
On pense souvent que la voix de basse est une grosse voix qui chante toujours dans le grave et quelle n’a pas d’aigus à faire. Or c’est tout à fait l’inverse ! La voix de basse chante toujours dans la quinte aiguë et a de temps en temps des graves. Une basse a donc des aigus et ne fume pas un paquet de cigarettes par jour ni ne passe son temps à boire de l’alcool ! (rires). Toutes les voix ont des aigus, toutes les cordes vocales ont un registre aigu et pour toutes les cordes vocales, l’aigu est un registre difficile.