Sabine Devieilhe… Ce nom vous dit quelque chose ? Pas étonnant. En 2013, la soprano colorature a reçu la Victoire de la Musique « Révélation Artiste Lyrique »; peu après, son album Le Grand théâtre de l’Amour (consacré à Rameau) était fait Diapason d’Or. C’est avec le même orchestre qu’on la retrouve salle Gaveau mardi 29 avril: les Ambassadeurs dirigés par Alexis Kossenko l'accompagnent dans un programme Rameau / Vivaldi. Une soirée délicieuse en tous points.
A chacune de ses apparitions sur scène, Sabine Devieilhe parvient à émerveiller son public. Qu’elle chante du Delibes (rôle-titre de Lakmé à l’Opéra Comique, en janvier) ou se confronte à la Reine de la Nuit (La Flûte Enchantée de Mozart, à l’Opéra de Paris, en mars), elle surmonte toutes les difficultés techniques sans aucun effort apparent, et laisse place à une musicalité d’une finesse rare, absolument captivante. Sabine Devieilhe est une chanteuse très consciencieuse, perfectionniste; on sent qu’elle prend en compte le moindre détail de la partition, ce qui rend son interprétation parfaitement lisible, cohérente, recherchée, jamais ennuyeuse. Si la flexibilité de sa voix est impressionnante, l’atout fondamental de la soprano réside dans sa capacité à mettre la technique au service de son chant, au lieu d’exhiber ses prouesses vocales comme un accomplissement en tant que tel.
Les musiciens des Ambassadeurs, tout comme Sabine Devieilhe, se laissent entièrement imprégner par la musique. Ils incarnent les œuvres: chacun des instrumentistes (y compris le chef, qui dirige depuis sa flûte) insuffle au groupe une énergie exaltée qui rejoint tout naturellement le mouvement d’ensemble. L’effectif chambriste (onze musiciens) exige de chaque artiste un son parfaitement propre et une synchronisation impeccable; pas une défaillance ne s’est fait sentir au cours de la soirée. La cohésion artistique entre Alexis Kossenko, Sabine Devieilhe (judicieusement placée au milieu des musiciens) et les Ambassadeurs s’est révélée absolue.
La première partie est consacrée à Rameau. Elle fait alterner airs (extraits de ses opéras Anacréon, Les Paladins, Les Indes Galantes, Platée…) et passages instrumentaux, avec une progression très fluide du programme. Le concert débute par la plus célèbre pièce des Indes Galantes, «Les Sauvages»…mais dans la version parodique de Michel Corrette (compositeur du XVIIIème siècle): le refus des conventions est affiché dès l’ouverture des festivités. Dės la première note, Sabine Devieilhe projette un son d’une clarté remarquable, dont les inflexions nuancées sont renforcées par l’expressivité des consonnes. L’art de la voix est porté à son comble dans les passages Pianissimo, qui se détachent par leur beauté gracile, jaillissant d’un chant feutré et extrêmement timbré. De façon générale, les émotions qui se dégagent du texte ou de la couleur musicale sont restituées avec une précision admirable. Sabine Devieilhe délivre le message triomphal de l’Amour (“Règne avec moi Bacchus”) et exprime le rêve de liberté de l’oiseau (“Pour voltiger dans le bocage, l’oiseau fuit la captivité”) avec une même justesse. Pour conclure comme il se doit cet hommage à Rameau - l’année anniversaire des 250 ans de sa disparition, l’air de la Folie (extrait de Platée) permet à la soprano d’allier splendeur de la voix et jeu de scène. Elle aurait peut-être pu aller encore plus loin dans l’extravagance, mais elle use si bien de son propre style pour incarner le personnage que c’est une réussite - une fois de plus.