Dernier Empereur de la saison, première Titan d’une longue série… Mais un opus 73 de la qualité de celle de Till Fellner, aussi pétillant de vie, ne lassera jamais personne. Difficile d'imaginer Première Symphonie de Mahler plus dominée que celle de Herbert Blomstedt avec l'Orchestre de Paris qui, dans une simplicité apparente, parvient à en dégager toutes les lignes de force.
Richard Goode, souffrant, a annulé sa venue. Un autre pianiste le remplace au pied levé. Encore un concert téléphoné ? C’est mal connaître ce « remplaçant », Till Fellner, beethovénien éprouvé, qui joue le concerto en question depuis près de 20 ans. « Beethoven ça ne se joue pas, ça se réinvente » disait Anton Rubinstein. En voilà la preuve concrète : dès les premiers arpèges de l’Allegro, l’auditeur est réveillé par cette franchise, cet inattendu élan qui lui permet d’atteindre le bout du siphon en une respiration. Itinéraire serti de malice, comme autrefois Gulda, avec ce tranchant et ce sens du détail qui interpellent à tout moment. La violence n’est pourtant jamais suscitée ; Till Fellner cerne le rythme en l’amortissant de tout son corps. On sent par moment planer l’ombre de son mentor, Alfred Brendel.
Discrète stylisation : Blomstedt donne aux premières mesures de l’Adagio un poco mosso un étirement typiquement fin-de-siècle. Espace sans bouture, sans couture ; le son ne se retire pas, il perdure et se fond dans la note suivante, sorte de legato d’orgue. Le Rondo nous remet le pied sur la terre ferme du réel. Till Fellner ne lésine pas ; le changement de tempo se fait d’une note à l’autre. Le pianiste autrichien décompose les facettes simultanées de l’action selon plusieurs plans, subtilement différenciés. Timbrage sélectif, le reste n’est que legato discret des voix intérieures, scintillement d’une toile de fond. A cet égard, le contrôle de la sonorité s’avère des plus impressionnants : a-t-on jamais connu trilles plus contrôlés, plus lumineux, plus volatils ?
Mais il est l’heure d’écouter la Titan. Sans doute pour pallier l’immobilité tonale de ce premier mouvement, Blomstedt se refuse la facilité du morcellement. Dès le premier son, un la immatériel produit par une longue pédale d’harmoniques, le climat est choisi et ne dévie plus. La musique s’abandonne en toute simplicité, lisse et radieuse, mais volontairement mise à distance. La Philharmonie est le répondant spatial d’une source qui semble délocalisée tant elle s’étale largement à nos oreilles, circule sans interruption entre pupitres, se mêle au sifflement acousmatique des deuxièmes violons.