L’Ouverture de féérie Shéhérazade de Maurice Ravel qui lance cette soirée à Bozar aura surpris mais certainement pas déçu. Les raisons de cette surprise sont multiples : tout d’abord, de légers décalages font quelque fois dresser l’oreille et fragilisent l’atmosphère que le chef Lionel Bringuier tente de mettre en place durant cette ouverture. Ensuite c’est la texture du son elle-même qui surprend : bien loin de la transparence et de la clarté que l’on peut attendre de cette musique, c’est avec une sonorité pleine, charnue et intense que le chef niçois et le Belgian National Orchestra s’emparent de cette ouverture. Grâce à un équilibre orchestral impeccable et une belle construction dramatique, Lionel Bringuier vogue aisément sur la musique expressive et colorée de Ravel.
Devant un orchestre dense et fourni vient ensuite s’asseoir Jean-Yves Thibaudet. Habitué des scènes belges, le pianiste français renoue avec Liszt après s’être fait une place au cours de ces dernières années parmi les plus grands interprètes de la musique française. Sa discographie lisztienne remonte aux années 1990 et même si l’on y retrouve ce soir toute sa fougue, on y entend en plus une poésie corsée et subtile qui lui faisait peut-être défaut lors de ses premiers disques. Unis dans une même optique de son et de couleurs, les deux artistes français et le BNO nous offrent une interprétation brute et directe du Second Concerto pour piano de Liszt, n’hésitant pas à faire rugir les cuivres ainsi que le splendide Steinway qui trône sur le devant de la scène.
Malgré tout, Jean-Yves Thibaudet sait trouver toute la souplesse requise pour faire respirer le jeu pianistique exigeant du compositeur hongrois, même lorsqu’il s’agit de s’effacer au profit de Dmitry Silvian (violoncelle solo) lors du touchant solo qui apparaît durant le second mouvement. Entre de redoutables traits bondissants comme des feux follets et une liquidité exceptionnelle dans le toucher, l’agilité du soliste ne faiblit jamais et même si les dynamiques restent bien souvent très forte, le discours trouve sa variété dans les phrasés et les échanges avec l’orchestre. En guise de bis, le pianiste nous offre une Troisième Consolation sur un fil, d’une tendresse infinie, qui contraste si magnifiquement avec l’ardeur du concerto.