Comment communiquer au public clairsemé de la Salle Gaveau toute l’énergie de la musique de chambre ? La réponse d’Olivier Charlier, Xavier Phillips et Roustem Saïtkoulov est simple : une incroyable complicité, capable de faire ressentir, plus que jamais, la passion commune aux trios de Chostakovitch, Dvořák et Tchaïkovski.
Passionné, Chostakovitch ? On s’en laisse convaincre dès les premières notes du violoncelle de Xavier Phillips, à la sonorité profonde et chaude. En guise de réponse, le vibrato absolument continu d’Olivier Charlier, ses ajouts de quelques portamento et un piano délicieux de nostalgie ancrent encore davantage le Trio n° 1 du côté du romantisme. Les contrastes de cette œuvre de jeunesse en un seul mouvement, qui alterne mélancolie et pantomime grinçante, sont remarquablement mis en valeur : vitesses d’archet absolument identiques, soufflets parfaitement synchronisés, même poids dans les attaques permettent au duo violon-violoncelle, complice, d’articuler avec précision les passages rapides, et ce malgré une grande variété dans les modes de jeu. Lorsque le piano, un peu en retrait dans la première partie de l’œuvre, prend enfin la parole dans un bref interlude, la modernité du jeu de Roustem Saïtkoulov est frappante : les notes sont assenées, presque sans pédale, comme pour renforcer l’atmosphère pesante de fatalité. Le chant final des cordes, en octaves, qui resplendit de la brillance du son des deux instrumentistes, n’en est que plus jubilatoire.
Un tel sens du drame promettait une interprétation explosive du Trio « Dumky ». On ne sera pas déçu : l’enthousiasme des musiciens est communicatif ! La première dumka déploie, après une entrée particulièrement rageuse du violoncelle, un beau dialogue amoureux qui met en valeur la puissance du son du violon, capable de faire jeu égal avec son partenaire. Le piano, de caressant, presque mièvre, se fait dramatique dans la danse infernale du « Poco adagio », ou tragique au retour du chant. Certes, le son des cordes est parfois un peu dur, mais la formidable énergie des musiciens permet des changements d’atmosphère incroyables, comme cette reprise du thème dansant pianissimo sur quelques millimètres d’archet… Des troisième et quatrième dumki, on retiendra surtout l’ingénuité que Saïtkoulov instille dans ses mélodies, respiration bienvenue entre les longues phrases, bien menées mais toujours dramatiques, des cordes. Enfin, les deux derniers mouvements seront interprétés de façon terriblement théâtrale, du thème piqué, presque grimaçant, de l’« Allegro » à la mélodie populaire du finale, où perce ici une sourde inquiétude. Le dernier chant du violoncelle, exultant autant que désespéré, amène un crescendo monumental, conclusion époustouflante de ce Trio.