Le Festival de Bellerive déclare "être une manifestation conviviale, familiale et sans prétention". A quoi l'on doit aussitôt ajouter que cette ambiance n'atténue en aucune façon la qualité des prestigieux concerts que viennent y donner de jeunes solistes internationaux invités par le directeur musical, le violoniste Gábor Takács-Nagy. Les deux dimensions se conjuguent harmonieusement. On peut acclamer les musiciens dans l'ancienne grange de la "Ferme Saint-Maurice" à l'excellente acoustique puis les voir se fondre dans la foule, comme de simples festivaliers. Les concerts ont lieu à l'heure où le crépuscule redessine et colore de mille nuances le Léman, son cadre verdoyant et les monts du Jura. Lieu de rêve animé depuis des décades par une équipe de responsables bénévoles travaillant sans relâche à conserver cet esprit.
Le Quintette de Brahms s'ouvre par une anacrouse prolongée legato vers la mesure suivante. Il est peut-être un peu délicat de trouver une entente rythmique et expressive immédiate à partir de ces toutes premières mesures. L'entente s'établit cependant donnant l'impression d'une sorte d'éveil à son premier instant, frêle et incertain. Le piano de Finghin Collins rompt cette quiétude par l'enchaînement ff des doubles croches dont la ligne soutient énergiquement le premier thème et ses retours ultérieurs ; un jeu puissant sans être brutal, un toucher net, une sonorité somptueuse. Ses arpèges semblent entraîner, dans leur sillage, des cordes dynamiques qui s'affirmeront de plus en plus brillantes. La langueur de leur éveil introductif cèdera la place à un ton décidé laissant en même temps transparaître, au fil de l'exposition et du développement des thèmes, une extrême délicatesse. Le premier violon d'Alexandra Conunova y excelle. Plus encore, peut-être, dans la réexposition finale des thèmes aux accents souvent schubertiens.
Dans le second mouvement, le passage molto espressivo porte les interprètes à de superbes élans privilégiant l'expression propre à chacun d'eux. Mais c'est avec une parfaite sensiblité commune qu'est repris le début du mouvement, sotto voce, suivi de ses amples développements. Partie pleine de tendresse qui n'est évidemment pas sans évoquer le Wiegenlied op. 49, la Berceuse. Le sentiment devient tout autre avec le Scherzo, brillant et d'une grande finesse, en particulier aux cordes : notes accentuées, pizzicatos, ricochets, nuances séduisantes, font vibrer la salle. L'étonnant contraste brahmsien entre ce brillant Scherzo et l'introduction mélancolique du dernier mouvement est rendu par les interprètes de manière extrêmement suggestive. De même, ils parviennent à se fondre avec élégance dans la succession de moments rythmés et intenses puis apaisés, conduisant à la fin de l'œuvre.