Le concours Tchaïkovski est l’un de ces rares concours de musique dont le seul nom fait frémir de peur et d’émerveillement tout à la fois. Il est aux pianistes, violoncellistes et violonistes ce que L’Ultra-Trail du Mont-Blanc est aux randonneurs : une course d’étape mythique semée d’embuches, nécessitant un talent prodigieux doublé d’une force intérieure inflexible et d’une endurance hors norme. Si la révélation moscovite de la 15ème édition du concours 2015 fut incontestablement le français Lucas Debargue, arrivé quatrième et déchaînant dès lors l’enthousiasme délirant des diévouchkis russes, d’autres musiciens non moins intéressants et très prometteurs ont ainsi été projetés sur le devant de la scène. Le concert de ce soir à la Philharmonie est justement l’occasion de découvrir ou de réentendre quatre de ces lauréats : le violoncelliste Alexander Ramm ainsi que les pianistes Dmitry Masleev, Lukas Geniusas et Lucas Debargue.
Complexion robuste à la chevelure digne d’un Jim Morrison lui cachant le haut de son visage jusqu’aux yeux, Alexander Ramm nous convainc que le talent n’attend pas le nombre des années. Nous découvrons un son riche, sûr, habité, dès le Prélude-Fantasia de la suite de Cassado. Cette qualité de son ne fera que se confirmer dans le Nocturne, op.19 n°4 de Tchaïkovski, et s’il ne s’épanche ni ne délire à coups de spasmes frénétiques, la retenue ne paraît jamais excessive, mais bien au contraire reflète la maturité du fruit de sa propre volonté musicale à la garniture subtile. Dans le Paganini, très réussi, il nous sert une main droite d’une souplesse désarmante, d’une précision taillée aux petits oignons, agrémentée finement et épicée d’une fluidité décoiffante dans ses staccatos glissés. Du grand travail.
Si Dmitry Masleev se cachait quelque peu timidement derrière le violoncelle de son comparse Alexander, il se trouve maintenant seul sur scène avec la Sonate Reminiscenza en la mineur op.38 n°1 de Nikolaï Metner, certainement l’une de ses pages les plus poétiques. Expression nostalgique tout en intimité, la plénitude et la densité de l’écriture pour piano demande de la part de l’interprète un équilibre des plans sonores subtilement élaboré s’il ne veut en altérer la fluidité. Le toucher subtil de Masleev ne tombe jamais dans l’écueil de la lourdeur. Néanmoins, il a du mal à s’accommoder de l’acoustique ample de la Philharmonie, si bien que l’on aurait aimé une plus grande clarté et que le jeu semble s’étouffer sur lui-même. La Totentanz de Liszt est une danse macabre hantée par le motif du Dies irea, conçue comme une double série de variations culminant sur un sommet technique vertigineux qui restitue l’impression d’effroi devant la mort. La virtuosité du pianiste dans cette œuvre est sensationnelle, rien ne l’effraie, ni les gerbes d’octaves sataniques, ni la frénésie maladive des notes répétées à toute vitesse. Ce qui est remarquable chez ce pianiste, c’est la légèreté de toucher à la main droite dans les passages les plus techniques. Cependant, le revers en est que cette même main droite manque parfois de timbre, de couleur.