À tous les mélomanes qui se plaignent de toujours entendre les mêmes œuvres poncives en récital, il faudrait souffler très fort : Florian Noack. Car avec quelle joie gourmande on a écouté vendredi dernier à l'Auditorium de la Fondation Louis Vuitton le jeune pianiste belge dans ses propres transcriptions ! Déjà le disque nous avait livré de belles trouvailles pianistiques, une clarté de jeu… mais rien ne pouvait laisser pressentir l’énergie résolue, quasi athlétique, avec laquelle il nous les a présentées hier au concert !
Le concert débute avec sa transcription du Concerto pour 4 claviers (BWV 1065) de Bach. Déconcertante quadrature du cercle, qu'il nous restitue avec calme et (presque) décontraction. Ce qui est frappant, en dépit de la polyphonie naturelle à l’œuvre dans ce concerto, c’est l’unité de l’univers sonore qui nous est présenté. Sitôt le contact établi avec le clavier, le timbre est net, franc et pigmenté. Tout chante et s’anime dans l’Allegro, d’humeur gaillarde, tandis que les voix sœurs se répondent, s’interpellent, se substituent les unes aux autres. Que cette fête musicale soit donnée par un seul instrumentiste, on a peine à y croire !
Infinie puissance de suggestion dans le Largo, où l'on croirait entendre tout un orchestre en catimini dans les arpèges de la main droite... ici encore, tout est affaire de dosage. Il s'agit également, par de légères arpégiations, de reproduir la multiplicité des attaques du collectif. C'est particulièrement vrai dans le Finale, moment où le pianiste laisse librement bondir son enthousiasme, et nous avec.
Qu'on se le tienne pour dit, les transcriptions de Florian Noack ne sont en rien des « réductions » : nul élagage ici, on rumine la chose et l’on tente de la résumer par d’autres biais. Et si parfois les doigts donnent l’impression de pianoter distraitement, c'est pour mieux servir certains effets de texture (effleurements, tremblements et autres délicatesses émaillent l'écriture).
Deuxième tour de force, le Roméo et Juliette de Tchaikovsky est donné avec une témérité dans les dynamiques et dans la tessiture qui n’ont d’égal que l’intelligibilité extrême, en toute dynamique et tessiture. On peut concevoir approche plus torturée, chaotique, plus primairement expressionniste, mais on peut également perdre en émotion brute ce que la sérénité du jeune pianiste parvient à nous transmettre au travers des octaves et des doubles-croches. C'est qu'il ne s'est pas fait la tâche facile : la densité musicale du propos est telle qu'elle requiert une ubiquité permanente des doigts et de l'esprit. Par chance, on a affaire ici à une technique déjà adulte, très digitalisée, tout en détente et indépendance des doigts.