Franz Liszt est quand même pain béni pour le directeur artistique d'une manifestation : la générosité de l'homme et du compositeur, sa vie flamboyante au service du génie de ses confrères aimés sans marchandage, la façon avec laquelle il a su s'approprier la musique des autres – et quels autres ! – sans jamais la piller, en osant la transcrire pour en faire autant d'œuvres nouvelles appelées à vivre leur vie indépendamment de leur source d'inspiration, ouvrent les portes à une programmation ouverte et sans concession à la désinvolture artistique qui pointe parfois dans la vie musicale.
Liszt renouait ainsi avec Bach, en une époque où cet art était devenu une industrie alimentée par des tâcherons qui réduisaient à la va-comme-je-te-pousse symphonies, quatuors à cordes, airs d'opéras et valses à la mode pour couvrir le pupitre des pianos qui trônaient dans les salons des amateurs ! Seuls ou à quatre mains, ceux-ci se lançaient dans des séances de lecture au clavier, avec joie, mais pas sans tirer la langue : c'était alors la façon dominante, sinon la seule, de découvrir le répertoire et les nouveautés venues des capitales, auxquelles si peu de mélomanes avaient accès. Le phonographe puis la radio effaceront ce monde. Mais les transcriptions de Liszt n'ont jamais été de celles qu'on puisse défricher le soir entre amis. À moins d'être un pianiste hors norme, comme l'était Georges Bizet qui n'a pas voulu faire carrière, sachant que les tournées l'empêcheraient d'écrire, mais a composé une petite – en nombre de pièces – œuvre pour son instrument de prédilection. Nathanaël Gouin en a enregistré une très belle sélection, en plus de la transcription pour piano seul du célébrissime Concerto en sol mineur de Camille Saint-Saëns (Mirare).
« Tout le monde » en parlait de cet arrangement depuis le vivant du compositeur, sans jamais l'entendre joué en public. Et l'on comprend pourquoi quand on écoute ce pianiste – compositeur et arrangeur lui-même – aux prises avec cet Everest que l'on ne peut gravir que par sa face la plus abrupte... sans que le public s'en aperçoive, tant Gouin semble se rire de cette tâche impossible qui consiste à jouer avec les dix doigts des deux mains ce qui est déjà difficile à vaincre quand il n'y a que la partie du soliste à jouer et devient sadique quand Bizet y ajoute les parties dévolues aux quatre-vingts musiciens de l'orchestre !