En contrebas de Vézelay, « le feu saint Antoine » va bientôt embraser les Rencontres musicales : à Saint-Père, sous les voûtes étroites et claires de la lumineuse église Notre-Dame, l’ensemble Graindelavoix s’apprête à proposer sa reconstitution d’un office consacré au saint. Au Moyen-Âge, celui-ci était invoqué pour guérir le mystérieux « mal des ardents » ; c’est l’objet du motet emblématique Anthoni usque limina, placé cet après-midi au cœur du programme. Autour de cette passionnante partition cryptée qui suggère l’usage d’une cloche en accompagnement instrumental, les volets de « l’ordinaire » – ces passages de la messe qui sont invariables quelles que soient les circonstances de l’office – proviennent pour la plupart de la messe L’Ardant Désir d’Antoine Busnoys.
Même si la reconstitution a ses limites (il n’est pas certain que L’Ardant Désir avait un rapport avec le mal des ardents et il est impossible d’être sûr que Busnoys en était l’auteur), le projet n’en est pas moins des plus intéressants, surtout quand il est porté par les qualités collectives de Graindelavoix. Sous la battue opiniâtre de Björn Schmelzer, l’ensemble montre une justesse harmonique irréprochable qui permet d’apprécier toutes les tensions et les détentes du discours liturgique. Dès l’« Introitus », on profite également de l’excellent travail réalisé sur le souffle, un phrasé large offrant une vision claire de la pièce.
Si ces qualités resteront admirables jusqu’à la conclusion de l’office, elles ne suffiront pas à compenser des limites qui se manifestent dès le « Kyrie » et le « Gloria » qui suivent : les passages contrapuntiques complexes manquent de clarté, le texte se perdant dans des vocalises individuellement mal assurées, notamment chez les voix masculines aigues. Ces réserves seraient négligeables si l’esprit était là ; mais la battue uniforme de Schmelzer tend à gommer l’expressivité des mélismes et bientôt les pièces se suivent et se ressemblent, alors même que la richesse de l’assemblage devrait mettre en relief le parcours liturgique.