La grande salle de la Philharmonie de Berlin accueille le 10 novembre dernier un Orchestre Radio Symphonique de Berlin d'autant plus rayonnant qu'il est conduit par Marek Janowski, son ancien chef avec lequel il reste manifestement en parfaite harmonie. Soliste dans le 4° concerto de Beethoven, le jeune et éminent pianiste, Francesco Piemontesi remplaçant Yefim Bronfman souffrant, se montre largement à la hauteur de ce qu'exigent la perfection de l'orchestre et de sa direction. Le programme -Hindemith et Beethoven- et la qualité musicale de l'exécution offrent l'occasion d'entendre une évolution, voire une révolution, en musique. La première partie propose Nobilissima visione puis Konzertmusik pour cordes et cuivres de Paul Hindemith.
La première de ces pièces (1938) appartient à une période de création, certains diront "assagie" chez le compositeur. Suite orchestrale tirée d'un ballet retraçant la vie de Saint François d'Assise d'après les fresques de Giotto, elle s'oriente vers une musique descriptive, marquée d'un sens moral élevé et d'un sentiment de religiosité. Cependant, la fastueuse orchestration, la musicalité riche et complexe de la "tonalité élargie", la souplesse harmonique s'adaptant tantôt avec éclat, tantôt avec subtilité à l'expression des impressions ne laissent pas de susciter l'enthousiasme. Reconnaissons que l'orchestre, avec son chef, atteignent, dès les premières mesures, une qualité expressive parfaite, conjuguant le plus haut niveau d'exécution que l'on puisse attendre de chaque pupitre, de chaque soliste avec une cohésion globale sans faille dans les sonorités, les nuances, les tempos. L'orchestre ne répond pas à la direction magistrale de son chef comme un groupement d'instruments mais en quelque sorte comme un seul instrument.
Solos de flûte et de basson d'une saisissante pureté, ponctués par le triangle, émergent dans un premier mouvement dépeignant la piété et le dépouillement du saint. La rentrée finale des cuivres puis des cordes sera tout en nuances. Contrastant violemment avec cette scène, le deuxième mouvement installe savamment la montée d'une tension, parfaitement dominée par les musiciens, vers les violences infligées aux habitants du lieu par une troupe de soudards passant par là. Précédé par une belle marche plus allègre que militaire, le développement se construit sur un sentiment d'angoisse dont l'expression est confiée aux cordes et aux bois. Leurs puissantes ressources et la profondeur des timbres illustrent fort bien "la montée des périls", rappel incontournable sans doute de la période de composition de l'œuvre. C'est naturellement aux cuivres et aux percussions qu'il appartient de sonner l'heure du déchaînement de la violence, tout en conservant leur remarquable qualité musicale. Les cordes font véritablement entendre des cris déchirants tandis que s'achève sur de retentissants accords la scène d'épouvante. La pièce autant que la vivacité de son exécution ne manquent pas d'en rendre évidente la logique descriptive : les cuivres ont annoncé la guerre, c'est un piccolo mélodieux qui annonce le retour de la paix tandis que cordes et flûte, toujours expertes, chantent le calme, la sérénité et la joie retrouvés, magnifiés par un beau tutti final. Le troisième mouvement offre une ample passacaille. L'orchestre, dans la dernière variation, appuyé par de fortes percussions, fait éclater les "dissonances" chères à Hindemith, les transfigurant en majestueuse manifestation de puissance.