Sur le papier l’idée est originale : associer Stravinsky et Poulenc, deux ouvrages brefs, Le Rossignol et Les Mamelles de Tirésias, dans une même soirée, cela suscite l’intérêt et la curiosité. Le Théâtre des Champs-Élysées est d’ailleurs comble en ce soir de première.
C’est de surcroît un spectacle éco-responsable, puisque chanteurs, décors et costumes sont recyclés d’une œuvre à l’autre. Olivier Py revendique « une relation thématique qui les unit profondément », Le Rossignol étant selon lui « un conte pour enfants admirablement construit, Les Mamelles un gigantesque bric-à-brac pour faire des enfants. J’y ai vu l’envers et l’endroit, le rêve d’un homme mourant d’un côté, les rêves fantasmatiques d’un couple qui expérimente de l’autre ».
Sauf que la proposition nous a paru bien déséquilibrée ! On pouvait supposer que le sujet même des Mamelles de Tirésias, le côté moine et voyou de Poulenc intéresserait plus le metteur en scène que le « conte musical » plutôt austère de Stravinsky. De fait, tout au long des trois brefs actes de ce Rossignol, on ne sortira pas d'un huis clos étouffant, qui ne se donne pas la peine d’évoquer une Chine imaginaire : au centre de la scène, à l’arrière uniformément noir et banal du décor des Mamelles, un lit éclairé d’un néon faiblard, un vieil homme ravagé de toux, quasi mourant – la Mort vient d’ailleurs le narguer dès le début du premier acte. La poésie, la magie de ce Rossignol ? Aux abonnés absents.
La partition de Stravinsky elle-même reste déconcertante : commencée en 1908 alors que le compositeur achevait ses études auprès de Rimski-Korsakov, elle n’est achevée que dans la perspective d’une création par les Ballets Russes en 1914. Entretemps sont passés par là les trois grands ballets. Le Rossignol fait le grand écart : d’un premier acte pré-Oiseau de feu, on débarque dans les stridences et les éclats des deux suivants. Les spécialistes disent « synthèse stylistique » quand Stravinsky lui-même parle d’une « étrangeté » dans son œuvre.
Côté interprètes, l’héroïne de la soirée est (une fois de plus) Sabine Devieilhe. On est un peu troublé parce que, de toute la soirée, la blonde soprano ne quittera jamais l’abondante perruque rousse dont on l’a attifée et qui lui donne un faux air de Patricia Petibon ! Son Rossignol stratosphérique capte à lui seul toute la poétique d’une œuvre qui dans cette mise en scène en paraît si économe. Jean-Sébastien Bou incarne un Empereur de Chine souffreteux à souhait – il sera un irrésistible mari de Thérèse dans la seconde partie. Dans la fosse, François-Xavier Roth et ses Siècles se montrent étrangement prudents et plutôt avares de couleurs et n’évitent pas quelques décalages avec les excellents membres du chœur Aedes répartis dans les étages de part et d’autre de la scène. Ils se débrideront dans Poulenc.