Jan Talich porte courageusement le lourd héritage de gloire qu'a laissé son père. Ce soir malheureusement, il n'est resté que la lie du son magique des Talich d'antan. Certes, il ne suffit pas d'avoir le bandage scénique et l'ardeur belliqueuse des jeunes ensembles pour réussir. Mais un tant soit peu de robustesse, une certaine assise, un sens de la phrase, ne seraient pas du luxe. Même remarque pour Michel Lethiec. Que se passe-t-il donc... manque de répétition ? Ou serait-ce le comeback des formations téléphonées ? Dans ce déluge de couacs, d'iniquités et d'à-peu-près, la musique est passée à la trappe.
Au déclenchement de l’œuvre, une succession de fusées : à ceci près qu'il en manque les amorces. Le dramatisme fiévreux du Quartettsatz se heurte à la volatilité insouciante des Talich. Le son jouit d'un drôle de lustre ; aigrelet, avec des accents tziganes. Certes, on reconnaît dans cette lecture quelques facettes du mortier tchèque : un mode distinctif d'accentuation, une certaine conception du vibrato. Et pour peu que l'on tende l'oreille, l'héritage des Talich première période se dévoile, du moins par instant ; les motifs individuels ont peu de vie propre mais sont fondus dans la matrice ; les dynamiques s'offrent des contours élastiques.
Déjà quelques minutes de musique et seul le premier violon, tendu aux antipodes de ses partenaires, s'est démarqué. En termes d'équilibre, Jan Talich joue à l'outsider ; on est à la limite de l'incompatibilité. Le reste du quatuor lambine en zone de brouillage ; soutien amorphe, souvent desséché. Il n'empêche que Jan Talich Junior est un premier violon sui generis, dont l'esprit mesuré refuse de hurler avec les loups : lyrisme tranquille. On apprécie dans son jeu une certaine forme de persistance, de soutien dans le son. Mais les écarts techniques, vraiment trop nombreux, conditionnent l'écoute. Et la justesse... la justesse !
À première vue, le Quintette avec clarinette de Brahms dessine une lumière automnale, sous laquelle clarinette et violoncelle, énamourés, dansent et se cajolent magnifiquement. Mais est-ce pour autant la fin de l'histoire ? Nullement. Car le Quintette peut également devenir une interminable scansion. Ce lundi soir, au milieu des minutes d'ennui, on ne sait plus à quoi s'en prendre : est-ce la clarinette ? Est-ce le soutien de l'ensemble ? Michel Lethiec, qui dirige depuis trente ans l'honorable établissement du Festival de Prades, a certainement plus d'expérience que quiconque, mais rien n'y fait, la mayonnaise ne prend pas. Quand bien même chaussés de verres grossissants, les traits dérapent allègrement et la traversée de la tessiture est laborieuse. Sur ce plan-là, on est bien loin du continuum parfait. Fait notable, le chant d'amour qui tient lieu de second mouvement est traversé de soufflets parfaitement aléatoires, plombant régulièrement la narration. On ne doute pas du potentiel contrastif de Michel Lethiec. Mais cette logique binaire d'up-and-down, sans entre-deux, cantonne au yoyo.