Donner la Troisième Symphonie de Mahler dans la Basilique de Saint-Denis est une décision d’ampleur, pouvant charrier le meilleur comme le pire. On aurait embauché à moindre risque Zeus comme timbalier... Un concert en terra incognita qui fait éprouver la fantasque, terrifiante poésie qu’on peut extraire d’une acoustique hors norme, dans ces moments où le son sort de sa gangue pour frapper le public de plein fouet.
Clamé par huit cors à l’unisson, le thème initial Kräftig, Entschieden fait figure de monumental portique. Enfin, la marche s’impose. Inquiétant clair-obscur, habité par la stridence d’une trompette, qui se veut réplique d'une même domination de l'espace, jusqu'en sa tonalité de ré mineur. Introduire une grosse caisse dans un espace aussi résonnant que la basilique n’est pas un choix innocent. Tonnerre ready-made, surgissant des contreforts en quadriphonie (fortissimos de l’éveil de pan) ou se perdant dans le lointain (roulements avant l’arrivée du cortège de Bacchus). À trop superposer les couleurs (ce qui arrive avec pareille acoustique), on s’expose habituellement au brouillage, à la bouillabaisse de gris ; mais là encore, la cohérence des timbres atteint au miracle. Devançant d’un siècle les ardeurs de la drum’n’bass, tout, ici, concourt à glacer d'effroi l'auditeur, à évoquer devant lui en couleurs crues la naissance du monde dans les ténèbres et le chaos qu'accuse encore, en opposition, la grâce toute triviale du deuxième thème (amorcé par le violon solo).
Après l’immense fonderie du premier mouvement, le Tempo di Menuetto laisse pressentir l'orée d'un monde fleuri, celui des prés de Steinbach où séjournait le compositeur, préparant la montée vers les hauteurs métaphysiques des derniers mouvements. Mais les triolets raides de cette seconde section sont corrodés par la reverb, le son et son écho se nuisent mutuellement, quand ils ne s’abattent pas en contretemps l’un sur l’autre. Autant de leurres à méconnaître, que ce soit pour le chef, les musiciens ou le public. Saluons malgré tout l’ardeur des cordes, qui semblent œuvrer au maximum de leurs capacités.
Voici venir le Scherzando. Ohne Hast, qui pourtant file bon train, lissant par la vitesse les aspérités de l’écriture (l’acoustique se chargeant du reste). Très grande qualité du pupitre de bois dans ces dialogues de passereaux, lancés tout à trac dans le silence ; le très attendu cor de postillon, placé au loin à gauche, chantera dans une sonorité idéalement ronde et feutrée.