L’Auditorium a préparé une riche Cène à son public en ce Jeudi Saint. Ton Koopman, chef associé de l’Orchestre National de Lyon cette saison, propose en entrée une Symphonie no. 40 de Mozart et en plat principal une Messe en ut mineur toute légère : une soirée sublimée par la dentelle vocale du délicieux Chœur Britten.
Ton Koopman est extrêmement agréable, jovial : entrant sur scène, il salue tous les musiciens qui sont à portée de main, leur sourit ; on les envie de pouvoir faire de la musique avec lui, et non sous sa direction, comme on le ferait sous d’autres baguettes. Le Molto Allegro de la Symphonie en sol mineur est dynamique, raffiné ; son attaque est nerveuse, passionnée et profonde. L’articulation claire des cordes s’accommode très bien de la direction directe, très expansive du maestro, qui s’amuse tout autant que ses musiciens, valsant sur scène entre les premiers violons et les violoncelles, ayant ses mains tantôt au-dessus de la casserole des petits pois printaniers, tantôt dans la poêle du foie gras onctueux.
L’Andante est une balade champêtre avec le panier pique-nique sous le bras ; elle se fait d’un pas très lent, que l’ONL suit un peu inégalement. Mais que de choses insoupçonnées vues et entendues, tel moment pris pour cueillir une première fleur odorante du hautbois, tel autre pour mieux apprécier le pépiement de l’oiseau-flûte. Le troisième mouvement oppose les vents aux cordes dans une belle rythmicité et un tempo allègre ; les contre-points et syncopes ressortent comme les flèches du premier tir-à-l’arc de la saison. L’Allegro assai fait entendre la petite voix impertinente du marmiton que le reste de l’équipe raille copieusement. L’excellente clarinette solo, dolcissimo, c’est le maître-saucier, aucun doute, qui nappe les asperges croquantes des archets d’une fine hollandaise.
Le talent et l’expérience baroque de Ton Koopman se manifeste dans le plat de résistance, la Grande Messe en ut. Laissée inachevée par son compositeur, elle a souvent fait l’objet de réfections. Le maestro néerlandais est aussi un érudit de musique ancienne. Aussi dégustons-nous ce soir une recette originale, dans laquelle des parties du Credo et du Sanctus sont de son propre cru, alors qu’il en a emprunté d’autres à un ami proche de Mozart, que ce dernier a pu tirer d’un mauvais pas en composant sous son nom, en pastichant son style : Michael Haydn. Les emprunts faits à la Jubiläumsmesse ne sont finalement qu’un juste retour des choses, et ils vont bien à cette œuvre.
Le son choral élégant du Kyrie permet de mesurer que le Choeur Britten est l’un des meilleurs ensembles français, préparé conjointement par Nicole Corti et Bernard Tétu, dont les deux structures se sont rapprochées ces derniers temps. L’équilibre est parfait, l’attention et la disponibilité maximales. Et quel son, franchement, ces chanteurs font saliver ! L’entrée du Gloria est pêchue, et ils continuent à impressionner : le dolce des ténors dans le Qui tollis, les basses du Miserere sont strictement incroyables dans l’homogénéité de leur timbre corsé et crémeux à la fois, les sopranes d’une clarté radieuse, les altos d’une densité cacaotée ; la fugue du Hosanna est bien ciselée partout. Vraiment rien à redire de ce côté : quand on écoute un instrument de cette qualité, infaillible dans la technique comme dans l’interprétation, on savoure juste un moment de grâce.