Brillant vainqueur du Concours Reine Elisabeth en 2005, Sergey Khachatryan a fait du chemin depuis, n’ayant de cesse d’approfondir un jeu dont la maturité avait déjà stupéfié à l’époque. Retournant sur la scène bruxelloise qui l’avait vu triompher il y aura bientôt 14 ans, le violoniste arménien a choisi de se produire dans trois grandes sonates du répertoire avec à ses côtés celle qui l’avait déjà accompagné à l’époque : sa sœur Lusine, son aînée de trois ans.
D’une certaine façon, leurs tempéraments sont dissemblables mais complémentaires : tandis que la pianiste, musicienne énergique et sensible, fait à tout moment sentir sa joie d’être sur scène, le violoniste offre ce paradoxe d’un jeu sans cesse en recherche de perfection et concentré à l’extrême, comme s’il jouait avant tout pour lui-même et se souciait peu de communiquer avec le public – le paradoxe étant que c’est précisément cette renonciation à toute tentative de séduction qui subjugue.
Dès les premières mesures de la Sonate K. 454 de Mozart, on peut apprécier le style généreux et expressif, viril et franc de Sergey Khachatryan. Sa sœur et partenaire se montre énergique quoique sans brutalité, faisant entendre une belle égalité dans les traits. Après avoir impressionné dans l’« Andante » médian par son sens de la cantilène, son beau vibrato expressif, sa fine sensibilité et un phrasé très soigné, le violoniste manque malheureusement un peu de tendresse et d’humour dans le « Rondo » final où l’on aurait souhaité un Mozart un peu plus espiègle et souriant.
Dans la Sonate n° 2 de Prokofiev, le tandem familial fait en revanche preuve de bout en bout d’un style en totale adéquation avec la musique, que ce soit dans l’héroïsme du « Moderato » initial comme dans le « Presto » qui suit, où l’impertinence et l’ironie de la musique – si importantes chez Prokofiev – sont parfaitement rendues. L’« Andante » touche par la pudeur et la retenue des interprètes, alors que le tourbillon du finale permet une démonstration d’imparable technique (ah, ces doubles cordes jouées au talon de l’archet !) et d’entente magnifique, de la part d’un duo qui se trouve vraiment les yeux fermés.