L’Orchestre symphonique de Montréal et Kent Nagano promettaient un concert costaud samedi dernier à la Maison symphonique de Montréal avec le Concerto pour violon de Dvořák et la Symphonie n° 3 de Brahms. Dans la foulée d’une série qui célébrait les 80 ans de l’Office national du film, ils y ajoutaient une touche d’inventivité avec la création de Hunger, de la compositrice Zosha Di Castri, qui accompagnait la projection du film La Faim de Peter Foldès.
Dans le concerto de Dvořák, la violoniste Veronika Eberle fait impression. Avec un contrôle hors pair, elle étire les temps, prolonge ses phrases. Dans les premières mesures, elle déploie ses arpèges avec beaucoup de souplesse et, dans les moments où cette liberté pourrait lui faire perdre pied, elle se rajuste très adroitement. De même, son jeu dénote une attention appréciable aux soupirs, comme dans le deuxième mouvement où ceux-ci appuient avec à propos le côté tendre et léger de ses lignes.
En regard du jeu ample et chaleureux d’Eberle, toutefois, l’orchestre paraît sobre, voire un peu frileux. Aux moments où l’on attend de sa part plus de distension émotive, il se montre modéré. Interprétée sur un ton neutre, presque plat, par les bois, la transition entre les deux premiers mouvements, à cet égard, est éloquente. À cette disparité d’humeurs entre la soliste et l’orchestre s’ajoute le choix de tempos passablement lents. Dans le deuxième mouvement, les salves de notes répétées aux trompettes apparaissent ainsi dénuées de leur côté incisif. De même, le finale hérite d’un tempo si modéré qu’il n’atteint jamais le point d’exaltation attendu. Le concerto paraît donc manquer d’un lien fort entre la soliste et l’orchestre – aux effusions de l’une, l’autre répond avec mesure et retenue – et de vitesse dans l’exécution – ce qui a pour effet d’aplanir certaines qualités de l’œuvre.
Le deuxième temps du concert consistait en la projection de La Faim, un film de Peter Foldès de 1973, et la prestation de Hunger, une pièce orchestrale de Zosha Di Castri composée spécialement pour l’événement. Dans le dessin animé qui se veut une charge contre la société de surconsommation, un Gargantua moderne engloutit peu ou prou tout ce qui croise sa route. Il en ressort un univers étrange et vaguement repoussant, que la musique de Di Castri traduit très bien. En manière de jungle orchestrale, elle insuffle une étourdissante activité à chacun des pupitres, dans un vrombissement jazzistique quasi ininterrompu. Les couleurs et les textures sont saisissantes. Au surplus, marque d’inventivité, la compositrice y a intégré une partie d’improvisation à la batterie. Cette idée apporte à l’œuvre un élément de spontanéité qui la rattache de manière intéressante à l’époque des films muets, dont la musique était largement improvisée.