Toute pérégrination italienne près de Pompéi et Herculanum mène à Naples, et ce samedi soir au Teatro San Carlo, l'un des plus anciens théâtres européens dont la construction fut achevée en 1737. Ce lieu chargé d’histoire, qui accueillit la création de nombreux opéras, présentait son orchestre dirigé par le chef chinois Muhai Tang et le virtuose Rudolf Buchbinder pour un concert entièrement consacré à Beethoven. Initialement programmée avec deux pièces pour piano et orchestre de Mozart et Richard Strauss, finalement annulées, la Symphonie No.6 dite « Pastorale » est accompagnée par l’ultime concerto pour piano du même compositeur, dit « L’Empereur ». Ces deux œuvres dynamiques et novatrices sont composées à la même époque, alors que l’Europe vit de plein fouet la deuxième vague des guerres napoléoniennes.
Les deux maestros de la soirée nous plongent dans le premier mouvement Allegro du concerto avec une facilité déconcertante. Les sautillés des cordes et la mélodie lisse des cors sont à peine dirigés par le chef. On en oublierait presque l’aspect très virtuose de ce mouvement pour le pianiste. Du bout des doigts, M. Tang maintient le public en alerte sur les rythmes syncopés. Durant ces traits, l’orchestre accompagne soigneusement le soliste qui, même lorsqu'il ne joue pas, continue à vivre la moindre note de la partition. Les jeux de question-réponse entre le pianiste et l’orchestre sont gérés avec humour jusqu’à la montée finale qui voit une parfaite synchronisation de la dernière note avec l’accord de l’orchestre. M. Tang demande de la main gauche plus de vibrato pour les tenues du mouvement lent (Adagio un poco mosso) et gère l’échelle des nuances de la main droite, maintenant la tension. Il dirige le tutti du dernier mouvement vers un fortissimo grandiloquent, le tout dans une ambiance très appliquée. Le zèle pousse même certains violonistes à vibrer leurs pizzicati. Le virtuose, toujours conscient de la partition, regarde directement les vents pour les passages de relais. Mais au final, on a plus l’impression que M. Tang dirige l’ensemble et que très peu de liberté est laissée à R. Buchbinder. Ce dernier présente le dernier thème dansant, repris en tutti juste avant la première cadence. Le travail sur la tête du thème et l’échange entre instruments semble toujours être produit avec beaucoup d’humour entre les musiciens et le pianiste. Le roulement de timbale à la dominante sonne malheureusement faux, ce qui jure avec la partie du soliste. Mais le final n’en est pas moins apothéotique. L’empressement du chef est visible sur la montre : le concerto est exécuté en à peine 35 minutes !