Il ne fait guère de doute que cette Norma donnée pour cinq représentations au Théâtre des Champs-Élysées, restera un des événements marquants de cette année lyrique, au demeurant fort riche.
Composé par Vincenzo Bellini (1801-1835), ce monument du bel canto fut créé en 1831 au Teatro alla Scala. Le livret de Felice Romani, s’inspirant de la tragédie d'Alexandre Soumet Norma ou l'Infanticide, situe l’action dans la Gaule occupée par Rome. Norma, grande prêtresse druidique du temple d’Irminsul, maintient une paix artificielle en ne délivrant pas l’oracle qui donnerait à ses compatriotes le signal du soulèvement. Elle agit ainsi par amour pour Pollion, le proconsul romain de qui, brisant son vœu de chasteté, elle a eu deux enfants. Mais Pollion l’a délaissée pour sa meilleure amie, la jeune Adalgise. Échouant à convaincre son ancien amant de lui revenir, Norma avoue publiquement sa faute, ce qui lui vaut le bûcher.
Il y a deux femmes en Norma : la grande prêtresse, au pouvoir religieux et politique, et la femme, amoureuse ardente et mère attentionnée. C’est sur cette dualité que Stéphane Braunschweig – qui vient de succéder à Luc Bondy à la tête du Théâtre de l’Odéon – a construit toute sa mise en scène. Le décor est sobre et froid : un espace gris avec, à cour, un gong et à jardin un escalier. Dans cette Gaule vaincue, tout est désenchanté, jusque dans les costumes, où la seule note de couleur est le fameux bleu de guède que portaient les Gaulois et qui effrayait tant les Romains. Le chêne des druides est devenu un bonsaï, posé à l’avant-scène. Quant à la cérémonie religieuse, ce n’est plus qu’un simulacre en ombres chinoises. Au centre de ce temple-bunker, un panneau pivotant révèle l’autre monde, celui de Norma-amante-et-mère : un lit blanc et douillet derrière lequel est tendue une tenture d’un rouge profond, îlot de chaleur et de bonheur préservés. Au second acte, pour accueillir le sacrifice – et la libération – de Norma, la scène reprend lumière et vie ; le chêne retrouve sa taille et sa verte ramure, jusqu’à l’embrasement final du bûcher, projeté en vidéo. Si l’on peut ne pas adhérer au dispositif scénique, on ne peut en revanche qu’admirer la remarquable direction d’acteur, où chaque mouvement, chaque expression sonne parfaitement juste.
Maria Agresta est sans conteste la Grande Déesse de la soirée. Elle porte ce rôle à la difficulté légendaire vers de nouveaux sommets. N’esquivant aucune des innombrables difficultés techniques de la partition – ambitus vertigineux, sauts périlleux d’une octave et demie, vocalises impressionnantes –, elle parcourt ce « chemin de croix vocal » avec un souffle et un engagement qui ne faiblissent jamais. Solennité, introspection, amour, fureur : la voix de Maria Agresta épouse toutes les couleurs et toutes les nuances du personnage. Le « Casta Diva », tout en retenue, est superbe et ce qui pourrait y passer pour de la froideur traduit en fait la simple fidélité aux intentions du metteur en scène. L’émotion est là de bout en bout et ne fait que croître jusqu’à la dernière seconde. Comment ne pas être bouleversé par le déchirant « Deh ! Non volvete vittime » ?