Curieux programme que celui concocté par Pascal Amoyel pour son concert au festival Chopin, court, déséquilibré… Une sélection de Polonaises servies avec garniture – du Liszt, Wiegenlied, En rêve et Saint François de Paule marchant sur les flots – et dessert, La Cathédrale Engloutie. D’abord séduit par quelques trouvailles, par la richesse de la sonorité, on s’est finalement lassé des trop nombreuses excentricités de phrasé, attendant quelque chose de plus nécessaire, de plus cohérent dans la structure. L’étrangeté érigée en système ?
Prélude aux Polonaises, le Wiegenlied de Liszt laisse l’oreille en suspens. Cette pièce mélancolique, concise et d’une économie de moyens étonnante est bâtie sur un lent trémolo de tierce à la main gauche. Pascal Amoyel nous fait entendre l’œuvre comme un chapelet de notes lancées à la dérive, éparpillées, autorisant quelques moments de grâce un peu fortuits. Mais la conjonction du bon timbre, du bon climat et de cette douce ivresse du phrasé est gagnante !
Jouer les Polonaises de Chopin ne requiert peut-être pas le mélange de maturité et de sérénité nécessaires à Schubert, mais il est bien difficile de ne pas y mêler – à défaut d’en rendre l’architecture, la dramaturgie – quelques malvenues foucades. Une telle performance, dans le même temps qu'elle exalte le talent d'un pianiste à faire sonner son instrument, révèle aussi les moindres défauts de son jeu. Pascal Amoyel réalise ici un parcours d'une continuité et d'une cohérence de climat certaine, mais qui ne conclut rien, ne mène nulle part. Il en fait trop et pas assez à la fois. La rythmique est sophistiquée ; le phrasé, un peu languide, manque de punch, la pédale contribuant à émousser l’héroïsme des plus probantes saillies.
Le pianiste fait état d’une plastique sonore des plus opulentes, dans une relative économie de geste. Aucune déperdition entre épaule et phalanges, mais un pont énergétique qui fait fi de l’avant-bras, et injecte d’impressionnant volumes dans l’instrument. Pascal Amoyel nous offre ici une vraie leçon de laxité ; le poids de la main, le relâchement du poignet sont tout à fait exemplaires. En témoigne la puissance roborative, pour ne pas dire outrancière, du son (les graves, notamment). Quelques réserves, néanmoins, qui concernent en particulier la main droite, étonnamment vulnérable en fin de phrase, manquant de caractère. La sonorité, très verticale, met également un temps à se stabiliser et les doigts peinent dans plus d’un trait à trouver l’articulation juste, celle qui ne nécessite aucun saut, aucun tumulte. Mais Pascal Amoyel soutient courageusement la gageure ; le détail des notes est sublimé par le geste.