Saint-Denis-Le-Ferment étire paresseusement ses maisons cossues le long de la Levrière rivière à truites aux eaux claires qui se jette non loin de là dans l'Epte qui prend, elle aussi son temps, avant de rejoindre Giverny et les jardins de Monet. La forêt de Lyons est toute proche, le souvenir de Thomas Beckett aussi qui du temps de sa formation parisienne a vécu dans ces terres normandes. De hautes collines cernent Saint-Denis, et c'est au mitant de l'une d'elle qu'est posée, la jolie église de ce village de 450 habitants. Jolie parce que son architecture composite a accompagné les siècles, que son plafond a la forme d'une coque de bateau inversée, que ses poutres et ses murs sont encore peints et qu'elle est lumineuse, presque souriante quand le soleil passe par ses grands vitraux colorés.
C'est là, le 2 juillet, à 16 h 30, que Pavel Kolesnikov, auréolé d'un Diapason d'or de l'année décerné par la revue Diapason pour son enregistrement de mazurkas de Chopin, donnait un récital de piano, dans le cadre du Festival du Vexin, où il revenait pour la cinquième fois. Et où son retour est d'ores et déjà annoncé.
L'église est pleine et la rumeur qui en monte donne un indice de son acoustique favorable pour la musique. Kolesnikov arrive, salue et sans attendre pose ses grandes mains sur le clavier du piano de concert : en un millième de seconde, jouant au superlatif du pianissimo, il entraîne les auditeurs dans son rêve : stupéfaction d'être en présence d'un géant qui sans jamais élever la voix, sans jamais surjouer le texte parle à tous et à chacun obtenant un silence prégnant. Le son du piano flotte dans l'air, immatériel. Les Valses D 145 de Schubert s'enchaînent nostalgiques, rêveuses, interrogatives, moment suspendu dont la grâce est indicible. Les trois mouvements de la Sonate en la mineur D 537 passent presque trop vite tant on voudrait les retenir. Cette paix, cette élévation spirituelle culminent dans un miraculeux « Allegretto quasi Andantino ». Kolesnikov s'efface derrière la musique : prodige de l'interprète qui "s'oublie pour que la musique se ressouvienne", selon le si juste mot du pianiste Yves Nat (1890-1956). On redescend sur terre avec le Carnaval de Vienne de Schumann, œuvre plus colorée, plus frivole, plus accessible aussi. Kolesnikov y est prodigieux de vivacité, d'aplomb, de verve, de mise en scène sonore et de pure jouissance instrumentale : quel pianiste ! Finale emporté, exaltant comme il se doit. La joie envahit l'église.