Combien sont les chefs et orchestres capables de convaincre dans la 9ème de Mahler ? La Neuvième ! De ces œuvres qui de l’inconditionné possède le caractère, de celles qu’un tour de passe-passe ne saurait embellir... Malgré un agenda déjà chargé dans le répertoire scénique, l’Orchestre de l'Opéra de Paris et leur chef Philippe Jordan ont consenti à sortir de la fosse pour nous la faire entendre dans toute sa splendeur.
De toutes les symphonies de Mahler, la Neuvième, dont on a pu dire à juste titre qu’elle commençait là où finissait le Chant de la Terre est l’une des plus difficiles à interpréter : par son irrégularité, son mépris du schéma, sa durée. Ce n’est pas une musique qui s’impose avec évidence à l’auditeur, et le gigantisme du premier mouvement reste vain si l’on ne tente d’en souligner le substrat.
D’abord l’Andante comodo, dans cet épanouissement de corps qui s’écoute vivre : palpitation (harpe), écoulement (trémolo des altos) et ces grands balancements des seconds violons. Afin d’éviter toute lourdeur, Philippe Jordan veille à accentuer les temps levés au lieu des temps forts, et n’hésite pas à pousser le tempo sur Etwas frischer. Le chef, s’érigeant en voix de la multitude, semble partout à la fois. Son intégrité le fait trancher en faveur du tout ; il tisse, tisse sans discontinuer, innervant par un geste la moindre intervention. Mais cette implacable ubiquité, bien qu’exemplaire, met également l’auditeur à rude épreuve : elle demande un grand effort d’écoute et d’assimilation, mettant ce premier mouvement hors de portée de ceux qui le découvre pour la première fois.
Avec le « super-Ländler » (comme l’appelait Leonard Bernstein) qui tient lieu de deuxième mouvement, on passe de l’irrémissible au véniel. Philippe Jordan échauffe les seconds violons de Vanessa Jean avec des gestes de dompteur (dans leur schwerfällig), taquine les lumineuses clarinettes de Jean-François Verdier. Mais chaque fois que, contre la pente naturelle de la musique, il introduit en elle un élément de rébellion, ces éléments sont profondément résorbés et n’apparaissent plus comme tels.