À l'occasion du quatre-vingt dixième anniversaire d'un des monstres sacrés de la musique du XXème siècle, qui aura marqué de son empreinte des générations de compositeurs et d'interprètes, le festival Musica de Strasbourg se devait de laisser dans sa programmation une large place à la musique de Pierre Boulez. Et pour assurer le premier concert-hommage de cette trente-troisième édition, qui de mieux que Pierre-Laurent Aimard, fervent interprète des œuvres de Boulez, devenu à dix-neuf ans en 1976 le premier pianiste soliste de l'Ensemble Intercontemporain ?
Dans cet esprit de confrontation des œuvres contemporaines aux œuvres du répertoire classique, qui est l'une des spécificités du festival Musica, Pierre-Laurent Aimard avait choisi d'intégrer dans son récital, outre les douze Notations et la Première Sonate de Boulez, deux pièces d'aspect plus « abordable », quoique révolutionnaires à leur manière : Musica Ricercata de Ligeti et la célèbre Sonate « Appassionata » de Beethoven.
Précisons pour commencer qu'il est toujours malaisé d'avoir à juger de l'interprétation d'une œuvre dont la composition va à l'encontre de nos habitudes d'écoute, et ce d'autant plus si nous n'avons pas de partition sous les yeux. Quels pourraient être en effet les critères d'appréciation de cette musique discontinue, imprévisible, et qui semble faite uniquement d'éclats sonores juxtaposés ? Un coup d’œil aux titres des douze Notations de Pierre Boulez nous aide à y voir plus clair. Plutôt que des titres, ce sont des indications de caractères et de dynamiques : Fantasque-Modéré, Très vif, Hiératique, Scintillant...On devine alors que chacune de ces miniatures forme un petit monde à part qui l'oppose, parfois radicalement, à celles qui l'entourent ; autrement dit, le contraste semble être ici, de même que dans la Première Sonate, l'élément moteur de la composition, voire sa finalité.
Notre impression quant à l'interprétation de Pierre-Laurent Aimard est qu'elle parvient sans mal, avec une sorte d'évidence naturelle, à nous communiquer la force émotionnelle de ces contrastes incessants. Pas une attaque qui ne soit rigoureusement pesée, pas une note qui ne soit rattachée à l'ensemble. Que ce soit dans les Notations ou dans la Sonate, le geste de Pierre-Laurent Aimard, par sa précision, par son application sans failles, parvient à rendre les œuvres de Pierre Boulez étonnamment lisibles. On en vient même à découvrir dans cette musique d'apparence austère, une forme d'expressivité qui confine, parfois, à l'humour.