Programme pléthorique que celui de cette soirée ! Ce samedi, la Philharmonie accueillait conjointement l’Ensemble Intercontemporain et l’Orchestre de Paris, main dans la main sous la direction de Matthias Pintscher, pour quelque trois heures de musique. A l’ordre du jour, un corpus d’œuvres mues par la passion, où Bach flirte avec Manoury et Žuraj lance d’incessants clins d’œil à Zimmermann.
Insideout de Vito Žuraj est un ouvrage assez original par les moyens qu’il emploie. La partie instrumentale, faite de bric et de broc, s’apparente à une symphonie pour instruments obstrués. Sourdines, grincements et suraigu s’unissent de concert dans ce qui ressemble à une vidange de machine à laver, sur fond de cocotte-minute. De cette litière domestique surgissent deux jeunes étourneaux, usant de la brume sonore comme d’un aphrodisiaque. Duo (duel ?) atypique entre un baryton classieux et une soprano à la sensualité pleine de gourmandise : les atermoiements sucrés de Yeree Suh sont vaillamment contrecarrés par la droiture de Jarrett Ott. Une lecture aux intonations très naturelles, dans le grain musical le plus fin.
La Passacaille pour Tokyo de Philippe Manoury repose toute entière sur une note, un mi bémol, qui engendrera vingt minutes de paysages obsédants. Les ensembles cachés ont manifestement le vent en poupe ; ici, le piano fantôme gazouille sur les brisées d'un Hideki Nagano sobre mais efficace. Les répétitions, quant à elles, sont soumises à des miroirs déformants : très vite, la verticalité des notes répétées devient dévalement horizontal du clavier. En cela, les clusters réalisent une merveilleuse synthèse de ces deux tendances : ni note élargie, ni gamme écrasée, ils font résonner sélectivement le mi bémol – fait d’armes digital – hors de ces déflagrations.
Mais place à Erwartung de Schönberg. Dans ce flux de conscience où les sentiments les plus contradictoires s’interpénètrent, Matthias Pintscher fluidifie les lignes afin d’offrir une vue imprenable sur l’architecture d’ensemble. L’extrême amorti de sa battue, par moment suspendue dans les airs, semble balayer un plan transversal au podium. Les cordes, d’abord filiformes, linéaments sans épaisseur, participent d’une densification progressive du discours : immense coulée, à laquelle rien ne résiste. Lecture moins tortueuse, moins expressionniste que d’autres, sans aucun doute. Mais ce qu’elle perd en éclat, la musique le gagne en acuité ; la lisibilité des plans frappe. Force de la nature, inépuisable d’énergie, Solveig Kringelborn soutient ce rôle unique d’une voix qui jamais ne force. Nulle fièvre mais une noblesse expressive déchirante.