Fondé en 1994 au Royal College of Music, le Quatuor Belcea est l'un des meilleurs en exercice au Royaume-Uni. Remplaçant au Théâtre des Champs Élysées le Quatuor Artemis, en deuil de leur altiste Friedemann Weigle, les Belcea nous offrent deux très belles partitions, les Dissonances de Mozart et l'Op. 131 de Beethoven, qu'ils traduisent avec beaucoup de finesse, méticulosité et fluidité.
Le quatuor à cordes Les Dissonances tire certainement son nom de la vingtaine de mesures de son Adagio introductif, dont l'harmonie instable, pétrie de doute, et le chromatisme rampant, préfigurent Beethoven. Rompant le calme dominical qui régnait dans la salle, les violons du Belcea tracent des notes comme des sillons, agréablement pénétrantes, sur d'imperturbables croches de do qui émanent du violoncelle. La tension se relâche peu à peu, avant d'être rapidement balayée par un Allegro qui rétablit le majeur, doublant littéralement le tempo. Voici venir ce qui ressemble à une partie de plaisir, même si des relents dramatiques viendront encore en obscurcir l’apparente évidence... Les Belcea apportent à cette œuvre un jeu sincère et univoque, quoique dopé d'un dynamisme enthousiasmant.
On retrouve plus loin, dans l'Andante cantabile, une allégresse calme qui n'est pas sans rappeler le propre Andante cantabile de la huitième sonate pour piano, également en fa majeur. Dans ce mouvement lent, précision et extrême expressivité s'unissent sans afféterie, soutenus par un premier violon savoureux. Le silence religieux qui précède le Menuet Allegretto en dit long sur la concentration qui règne sur scène, où les musiciens se concertent sans ciller. Même en présence de tempi rapides, ce ne sont jamais de furtives œillades, toujours de longs regards qui tournent, en un échange continu. Les musiciens, habités, bougent au ralenti sur leur chaise.
C'est une formidable impression de constance qui ressort de cette interprétation. Les mouvements rapides sont portés par un premier violon délicieusement disert, presque en avance sur ses doubles-croches. Le stradivarius de Corina Belcea - dont la précision relève de la virtuosité - fait des merveilles. On sent d'ailleurs chez ce quatuor un souci constant de la cohérence des timbres et des vibrato. Certains rêveront sans doute d'une lecture plus candide, mais l'approche fignolée à l’extrême des musiciens du Belcea ne démérite nullement. L'intonation est parfaite, l'esprit bien mozartien, le souffle est juste et équilibré, quelle splendeur !
La deuxième œuvre au programme est le Quatuor à cordes n°14 de Beethoven, celui-là même que Wagner décrivait comme les « méditations d'un saint muré dans sa surdité, à l'écoute de ses voix intérieures » ; un quatuor doté de ressources expressives qui pour beaucoup le singularisent des autres quatuors du compositeur. Quelques notes mystérieuses et plaintives au violon, bientôt reproduites à tour de rôle par les autres musiciens, en des dynamiques rigoureusement semblables : c'est une fugue. Mais une fugue empreinte d'une profonde amertume. Pourtant, elle entraînera dans son sillage des mouvements d'une toute autre atmosphère.
Ainsi passe-t-on sans transition à l'Allegro ma non tanto. Ce mouvement sonne comme une digression tant la douce allégresse qui y règne s'éloigne de la gravité qui précédait. Malgré des tempi volontiers rapides, on est émerveillé par la formidable plasticité du rythme et la souplesse des phrases musicales. La gestion des ralentis témoigne d'une grande cohésion et de beaucoup d'écoute entre les membres du quatuor.